Revue - Droit & Société N°112-2022 - 88

M. HERRERA
Les réformes adoptées en 1997 placent donc les députés dans une situation de
tension entre la reconnaissance d'indépendance de la cour et le rétablissement des
mécanismes de contrôle par le Congrès qui « est le dépositaire de la souveraineté et
de la volonté populaire [et] doit exercer le contrôle politique de la Fonction judiciaire
» 73. Cette tension se manifeste aussi par les résistances que rencontre rapidement
le principe de cooptation. Entre 2002 et 2003, diverses initiatives visent la
création d'une Loi de cooptation, censée encadrer le fonctionnement de cette procédure.
Elle devait limiter la participation des magistrats par la création d'un « organe
nominateur » responsable d'élaborer des listes de personnes éligibles à la magistrature.
La loi priverait ainsi les membres de la cour de cette attribution, en l'octroyant
à un « organe » externe composé par des organisations sociales à travers lesquelles
les partis pourraient intervenir.
En somme, ces débats révèlent à quel point les nouveaux mécanismes ayant
pour objectif l'indépendance de la justice ont une faible emprise dans l'espace
politique en dehors du contexte qui a vu leur adoption. La rupture formelle des
liens entre justice et politique perturbe les arrangements institutionnels établis de
longue date et limite la possibilité de tractation, ce qui motive des appels pour de
nouvelles désignations. Ces appels sont portés notamment par des acteurs partisans
exclus du dernier processus constituant et qui cherchent à être présents dans
la cour. Cela conduit au remplacement des magistrats fin 2004, lorsqu'une faible
majorité législative procède à une nouvelle désignation. Il s'agit pour ces protagonistes
de « libérer la Fonction judiciaire d'une pression politique qui a été néfaste et
que tout le pays reconnaît » 74, en référence à l'influence du PSC. Pourtant, cette
action n'est pas sans conséquences, car elle exacerbe la conflictualité politique,
provoquant une nouvelle crise qui mène à la destitution des magistrats quelques
mois plus tard 75.
Finalement, la cooptation ne durera pas et sera dissoute en 2008 lors de l'adoption
d'une nouvelle Constitution. À cette époque, le processus constituant est mené par le
mouvement Alianza País (AP), formé en 2006 pour soutenir la candidature présidentielle
de Rafael Correa. Porteurs d'un discours qui dénonce les politiques néolibérales
des gouvernements précédents (associées à une destruction de l'État), et qui affiche
une opposition généralisée envers la classe politique (associée à une « partitocratie
») 76, R. Correa et le mouvement AP s'inscrivent dans la lignée des gouvernements
socialistes latino-américains comme ceux d'Hugo Chávez ou Evo Morales.
Fondée sur un programme de « reconstruction » étatique, l'Assemblée constituante
de 2007-2008 marque une nouvelle fenêtre d'opportunité pour l'introduction
73. Ibid., p. 56.
74. ID., Acta de sesión extraordinaria, Quito, n° 24-001-IV, 8 décembre 2004, p. 8.
75. L'initiative est menée par le gouvernement de Lucio Gutiérrez et le parti d'Abdalá Bucaram qui visaient
un renouvellement des magistrats pour permettre le retour du leader, auto-exilé au Panama à la suite des
procès pour corruption. La crise provoquée par cette action conduit à la destitution de L. Gutiérrez et celle
des magistrats.
76. Augusto BARRERA, « Dinámicas socio-políticas en la construcción de Alianza País », in Franklin RAMÍREZ
(ed.), La innovación partidista de las izquierdas en América Latina, Quito : Friedrich Ebert Stiftung, 2008,
p. 121-125.
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