Revue - Droit & Société N°112-2022 - 43

Norberto Bobbio et la crise du positivisme juridique dans l'Italie d'après-guerre
été d'une grande rigueur dans le dévoilement des visées idéologiques déguisées en
critiques scientifiques.
D'après Bobbio, la polémique antipositiviste des jusnaturalistes n'a pas toujours
été conduite en toute bonne foi. Les accusations les plus sévères étaient injustifiées,
et dissimulaient mal la tentative de relancer le procès du libéralisme, de l'individualisme
et du relativisme moral. Par ailleurs, la défense par Bobbio de l'idéologie
positiviste présente l'intérêt d'avoir mis à jour les points de vue irréconciliables,
mais aussi les possibles accords entre le positivisme juridique et le jusnaturalisme,
dans leur version modérée.
Néanmoins, l'identification par Bobbio de la critique de l'idéologie positiviste à
une tentative de « reconquête catholique », aussi forte fut-elle en Italie, est réductrice
et pas vraiment satisfaisante d'un point de vue plus général. Des critiques
portant sur l'attitude trop conciliante des juristes de culture positiviste face à l'État
ont été formulées déjà avant la Seconde Guerre mondiale. Weber soulignait ainsi
que « le dépérissement des implications métaphysiques du droit fait partie des
développements idéologiques qui, s'ils intensifient le scepticisme à l'égard de la
dignité de certaines règles précises de l'ordre juridique concret, favorisent dans une
très large mesure, et avant tout parmi les praticiens du droit, la docilité effective à
l'égard du pouvoir des autorités se prétendant légitimes » 74. Le sociologue avait
bien vu que, en se transformant en purs techniciens du droit, les juristes positivistes
pouvaient devenir des instruments très efficaces au service du pouvoir politique,
aptes à remplir n'importe quelles fins.
Notons aussi que la sociologie positive de Weber, « frère jumeau » 75 du positivisme
juridique d'après Catherine Colliot-Thélène, a essuyé des attaques comparables
en Allemagne après la guerre. La philosophe évoque à ce titre le « débat dont
l'enjeu est la signification, voire la responsabilité de la pensée politique wébérienne,
du point de vue du devenir dramatique de la république de Weimar » 76.
Jürgen Habermas, entre autres, lors du XVe congrès des sociologues allemands de
1964, a reproché à Weber d'avoir « conçu l'idée d'une démocratie césariste des
chefs fondée sur l'impérialisme des États nationaux contemporains » 77. Carl
Schmitt, dont la sinistre réputation n'est plus à démontrer, pouvait être, de ce point
de vue, considéré comme « un disciple légitime », voire « un " fils naturel " de Max
Weber » 78, toujours selon Habermas. La critique adressée à la sociologie wébérienne
s'est concentrée sur son analyse de la domination légale-rationnelle. Weber
aurait, pour ce type de domination caractéristique de la modernité, assimilé la
légitimité à la légalité, et confondu ainsi le caractère positif des lois avec la source
d'où elles émanent : « La forme même de la légalité, c'est-à-dire le respect de règles
74. Max WEBER, Sociologie du droit, op. cit., p. 280.
75. Catherine COLLIOT-THÉLÈNE, Le désenchantement de l'État. De Hegel à Max Weber, Paris : Éditions de
Minuit, 1992, p. 238.
76. Ibid., p. 229.
77. Jürgen HABERMAS, Zur Logik der Sozialwissenschaften, Suhrkamp Verlag, 1982, p. 84-85, cité et traduit
par Catherine COLLIOT-THÉLÈNE, Le désenchantement de l'État. De Hegel à Max Weber, op. cit., note 39,
p. 234.
78. Ibid.
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