Bibliothèque de droit public - Tome 318 - Le principe de liberté en droit public français - 483

LA LIBERTÉ COMME PRINCIPE NÉCESSAIRE AU DROIT

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incomplet ou nécessairement incomplet d'un certain point de vue, en raison de la
liberté de comportement et d'interprétation de la règle de droit par le sujet : le
droit ne saurait tout prévoir a priori115.
1095.  Par conséquent, la vision de l'ordre juridique comme ordre de
contrainte et ordre clôturé posent plusieurs problèmes et semblent n'offrir qu'une
image faussée du droit. Il faut donc remettre en cause cette conception.
4.	 La remise en cause de la vision de l'ordre juridique comme ordre de contrainte
1096.  Il sera présenté cinq raisons pour lesquelles le système ci-dessus étudié
doit être remis en cause, auxquelles s'ajoutent les contestations déjà esquissées.
1097.  Tout d'abord, certains auteurs ont nié la sanction comme critère du
droit. C'est la position François Terré, qu'il formule de manière assez virulente : « on
ne peut pour le [le droit] discerner, voire pour le définir, se référer à l'existence de
« sanctions organisées » [...]. Pendant combien de temps faudra-t-il répéter qu'une
règle n'est pas juridique parce qu'elle est sanctionnée, mais sanctionnée par ce qu'elle
est juridique »116. D'autres auteurs ont argumenté dans ce sens117, montrant notamment que toutes les règles juridiques ne sont pas sanctionnées118. En effet, les normes
d'habilitation, par exemple, ne font pas l'objet de sanction119, en tout cas pas de sanction au sens de contrainte dans la mesure où elle ne serait que l'incompétence.
1098.  Ensuite, cette conception de l'ordre juridique comme ordre de
contrainte donne une grande place à la coercition, souvent conçue comme force,
mais celle-ci n'a aucune légitimité en soi. Un droit de la force par principe n'a pas
de place dans un régime libéral. Cependant, il existe bien un droit exécuté par la
force (l'article  12 de la Déclaration de 1789 en atteste) mais envisagé comme
ultime remède pour assurer la garantie de la liberté de tous. Le droit ne saurait,
pour être lui-même et régir ses objets, se réduire à un phénomène de force, même
s'il existe des cas où celle-ci est exceptionnellement nécessaire, comme le prescrit
115. Portalis l'avait d'ailleurs bien vu et mis en avant dans son discours  :  « un code, quelque
point qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s'offrir
aux magistrats. Car les lois une fois rédigées demeurent telles qu'elles ont été écrites. Les hommes, au
contraire, ne se reposent jamais, ils agissent toujours : et ce mouvement, qui ne s'arrête pas, et dont les
effets sont diversement modifiés par les circonstances, produit, à chaque instant, quelque combinaison
nouvelle, quelque nouveau fait, quelque résultat nouveau », J-E. Portalis, « Discours préliminaire
prononcé lors de la présentation du projet de la commission du gouvernement » in P.A. Fenet (dir.),
Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Videcoq, t.1, 1838, p. 469.
116. F. Terré, « Pitié pour les juristes ! », RTD civ, n°2, 2002, p. 247.
117. R.  Capitant, Introduction à l'étude de l'illicite : l'impératif juridique, Dalloz, 1928, p. 187 :
« l'idée de sanction n'est pas incluse dans l'idée de droit ».
118. Ph. Malaurie, L. Aynès, Cours de droit civil : Introduction à l'étude du droit, t. 1, Cujas, Coll.
Les cours de droit civil, 1991, p. 34 « La sanction n'est pas essentielle à la règle de droit, il existe des
règles sans sanction, qui sont pourtant des règles juridiques parce que c'est autrement qu'elles sont
obligatoires » ; B. Oppetit, « Le droit hors de la loi », Droits, 1989, p. 49 : « la juridicité ne peut être
subordonnée à l'existence d'une sanction coercitive sous peine de se confondre avec la force : il est des
règles non sanctionnées ou ineffectives, en droit international, en droit constitutionnel ou même en
droit privé, qui restent néanmoins des règles de droit »   ; C. Groulier, « Peut-on penser la norme
juridique sans l'impératif ? », Droits, vol. 50, n°2, 2009, pp. 247-262.
119. G.  Tusseau, Les normes d'habilitation, Dalloz, Coll. Nouvelle bibliothèque des thèses, 2006,
p. 25 : « Cette définition de la règle de droit s'avère difficilement compatible avec un concept de norme
d'habilitation destiné à rendre compte des énoncés habilitants et leur rôle au sein des discours
juridiques. En effet, ces derniers ne semblent pas, prima facie, prescrire des comportements obligatoires
sous peine d'une sanction coercitive ».

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