Expertises des Systèmes d'information - Le mensuel du droit de l'informatique et du multimédia - Juin 2019 - n°447 - 213

Sylvie Rozenfeld  : Vous avez une double
formation et une double expérience en finance
et en droit. Diplômée de l'Essec et expertcomptable mémorialiste, vous avez travaillé
sept ans dans l'audit et le transaction services et
suivi parallèlement un cursus complet de droit
pour devenir avocat. Vous avez en 2015 fondé
un cabinet d'avocats qui propose cette double
expertise  : vous intervenez en due diligence
sur des opérations de capital-risque, beaucoup
dans le domaine numérique, et sur le capitaldéveloppement/LBO. Vous prenez en charge la
partie d'audit des opérations d'investissement
sous les quatre aspects distincts : juridique,
social, fiscal, et financier. Pourquoi allier le
droit et la finance vous semble-t-il nécessaire ?
Raphaëlle d'Ornano  : J'ai en effet travaillé
pendant sept ans en audit, en transaction services,
et plus particulièrement sur l'audit d'acquisition
de sociétés ou sur des investissements dans le
secteur du capital-risque. J'ai toujours trouvé
qu'il manquait une double vision droit-finance,
l'analyse respective des éléments juridiques
ou financiers restant parcellaire. Prenons un
exemple simple  : pour mesurer l'engagement
financier relatif à un bail 3/6/9, la compréhension
des termes du contrat est essentielle.
Ainsi l'analyse juridique va permettre de mesurer
un élément purement financier pour déterminer
si, par exemple, on peut sortir du bail et dans
quelles conditions, et quantifier l'engagement au
titre des loyers restants. Dans le cas d'un litige
prud'homal ou commercial, on va porter une
appréciation sur le risque juridique mais aussi
sur son implication financière. Si une personne
demande une indemnisation de 100 000 € pour
un licenciement, nous allons analyser le degré
d'occurrence du risque, la probabilité qu'il soit
provisionné dans les comptes et à quelle hauteur.

En quoi le fait d'offrir cette double compétence
apporte-t-elle un plus aux investisseurs ?
A partir de cette vision financière, avec les gros
agrégats du chiffre d'affaires et de la structure de
coûts au niveau de la marge et ce qui se trouve
en-dessous, nous allons pouvoir centrer notre
analyse sur les points qui sont les plus pertinents
et plus ciblés. L'audit est destiné à valider la thèse
d'investissement, mais on peut facilement passer
à côté de certains éléments en ayant une vision
parcellaire et morcelée.
Dans le secteur des technologies, où les opérations
d'investissement sont d'ordre chirurgical, bien
que portant sur de très importantes sommes
parfois supérieures à cinquante millions d'euros
avec des investisseurs internationaux, on a
besoin d'avoir une vision claire et entière du
modèle économique, de comprendre quelle est la
chaîne de valeur à chaque étape de la formation
du résultat, qui intervient à quel moment, quels
sont les contrats clés structurants, etc. L'étude du
modèle économique par ce double éclairage nous
permet d'avoir une analyse beaucoup plus poussée
des risques. Nous disposons ainsi d'un radar qui
nous permet de cibler beaucoup plus finement
nos recherches. Ce modèle ne s'applique jamais
au détriment de la compétence tant financière
que juridique car nous disposons d'une équipe
d'experts sur les deux sujets, avec un seul point
d'entrée pour le client investisseur.

Grâce à la transversalité que vous offrez, est-ce
que vous pratiquez des audits qui n'existaient
pas avant ?
Nous opérons beaucoup dans le secteur des logiciels, et notamment dans le SaaS. Nous effectuons
par exemple le chiffrage du passage du modèle de
licence perpétuelle à celui du SaaS. Dans ce cas,
nous sommes obligés d'aller au-delà de l'analyse
comptable. Les états comptables représentent un
miroir du passé, ce qui n'est guère intéressant,
sauf pour se rassurer sur
un niveau de chiffre d'afLa capacité à comprendre
« La finance va enrichir l'analyse juridique
faires ou de marge. Pour
à quel stade de la procéen ce qu'elle permet de connaître les
comprendre ce qu'il y a
dure on se trouve et le
ordres de grandeur propres à la cible, et
dans ce chiffre d'affaires
bien-fondé des demandes
évaluer ainsi la matérialité des contrats
ou dans ces marges, il faut
va
permettre
d'évaluer
à analyser dans le cadre de l'audit pour
procéder à des analyses
avec plus de précision et
une pertinence accrue dans l'audit. »
extra-comptables, dites anad'acuité le risque financier.
lyses de gestion, qui vont
De même, l'analyse d'un
conduire à des analyses
contrat client va permettre
de cohortes par exemple. Quels sont les leviers de
de comprendre le sous-jacent et la nature de l'accroissance du chiffre d'affaires d'une année sur
tivité économique et conduire à une analyse plus
l'autre ? Pour quelles catégories de clients ? Est-ce
pertinente en matière financière. A l'inverse,
qu'ils sont issus d'un nouveau business ou d'une
la finance va enrichir l'analyse juridique en ce
extension due à la croissance de la société cliente ?
qu'elle permet de connaître les ordres de grandeur
Y-a-t-il du churn, à savoir de la rotation client  ?
propres à la cible, et évaluer ainsi la matérialité des
L'analyse de ces indicateurs représente la seule
contrats à analyser dans le cadre de l'audit pour
manière de comprendre les raisons de l'évolution
une pertinence accrue dans l'audit.
EXPERTISES Juin 2019

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