Revue - Droit & Société N°111-2022 - 20

C. REVEILLERE, L. PRAUTHOIS, J. PÉLISSE
d'asile et de recourir de manière accrue à la « procédure accélérée » placé au cœur de
la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée 62. En témoignent également
l'usage à 75% de procédures « accéléré » et « en urgence » dans l'expulsion des
squats et la « procédure particulièrement accélérée » allemande analysée par Alexis
Provost dans ce dossier.
Les politiques publiques produisent des situations d'incertitude. Les normes juridiques
fournissent un ensemble d'opportunités pour les réduire, mais les acteur·ices
sont inégalement doté·es lorsqu'il s'agit de les mobiliser pour sécuriser leurs horizons
d'actions. Comme l'a montré Charles Reveillere lors des journées d'études 63,
lorsque les habitant·es d'un quartier populaire délogé·es par un projet de rénovation
urbaine tentent de mobiliser le droit judiciaire pour prolonger leurs temps
d'habitation, ces dernier·es se trouvent « face » à des normes juridiques contraignantes
« avec » lesquelles jouer s'avère difficile. À l'inverse, l'aménageur mobilise
ses ressources de « joueur répété » 64 pour prévoir le calendrier de sa maîtrise foncière
en intégrant celui des organisations judiciaires et policières. Il a même le pouvoir
d'accélérer le travail de ces dernières pour maîtriser la durée de mise en œuvre
des expropriations et des expulsions.
Tandis que certaines pratiques législatives contraignent les jeux avec les temporalités
du droit, d'autres laissent, à l'inverse, de larges marges d'interprétation et
une grande part d'imprévisibilité dans la mise en œuvre effective de certaines politiques
publiques. Qu'il s'agisse de la régulation environnementale et de la norme
juridique de « pérennité », de durée « illimitée » ou d'« irréversibilité » étudiée par
Stéphanie Barral et Fanny Guillet, des pratiques discriminatoires que cherchent à
contrer le titre VII du Civil Rights Act de 1964 aux États-Unis 65 ou des règles réduisant
la durée du travail 66, les formulations « ambigües » du droit permettent à un
ensemble d'organisations d'assouplir ou d'échapper à l'encadrement effectif de
leurs pratiques tout en autorisant l'affichage, par les pouvoirs publics, de législations
ambitieuses.
Enfin, l'analyse des relations entre droit et temporalités contribue à un domaine
en plein essor de la sociologie des temporalités contemporaine qui s'intéresse à la
manière dont l'État gouverne les populations par « l'attente » 67. La mise en attente
est au cœur des politiques françaises de l'immigration, plaçant les personnes face à
62. Sabine CORNELOUP et Fabienne JAULT-SESEKE, « La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration
maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie », Revue critique de droit international privé,
1 (1), 2019, p. 5-34.
63. Charles REVEILLERE, « De la propriété d'usage à la propriété des moyens de production de l'habitat : le
droit comme ressource de sécurisation temporelle des projets urbains », communication aux journées
d'étude « Droit et temporalités », CSO, 14-15 avril 2021. Sur les usages du droit pour sécuriser les temps de
l'habiter, voir aussi Emilia SCHIJMAN, À qui appartient le droit ? Ethnographier une économie de pauvreté,
Paris : LGDJ, 2019.
64. Marc GALANTER, « Why the " Haves " Come out Ahead: Speculations on the Limits of Legal Change »,
article cité.
65. Lauren B. EDELMAN, « Legal Ambiguity and Symbolic Structures: Organizational Mediation of Civil Rights
Law », American Journal of Sociology, 97 (6), 1992, p. 1531-1576.
66. Jérôme PÉLISSE, « Retour sur les 35 heures et ses ambivalences », Savoir / Agir, 3, 2008, p. 21-30.
67. Javier AUYERO, Patients of the State: The Politics of Waiting in Argentina, op. cit.
246  Droit et Société 111/2022

Revue - Droit & Société N°111-2022

Table des matières de la publication Revue - Droit & Société N°111-2022