Annales corrigées et commentées - Droit constitutionnel - L1 - 7e - 114

Vous faites bien de rappeler
QUESTION N° 3
rapidement la question posée,
on attend cependant une
reformulation juridique de celle-ci :
« la liberté de choix du Premier
ministre que le Président tire de
l'article 8 al. 1 est-elle conditionnée
par le résultat des élections
législatives ? ».
Cette précision est indispensable
dans la mesure où seul ce
1er
alinéa est dispensé de
contreseing. Il faudrait toutefois
expliquer l'utilisation du « quasidiscrétionnaire
» qui renvoie à
un pouvoir de décision qui n'est
soumis à aucune condition
particulière. Ici, il renvoie à la
plénitude de choix dont dispose
le Président qui peut choisir de
nommer un proche, un élu ou un
inconnu... à condition toutefois
qu'il soit en mesure de disposer
de la confiance de l'Assemblée
comme vous l'expliquez plus loin.
Monsieur Daghein,
Vous m'avez demandé de vous éclairer sur une éventuelle nomination comme
Premier ministre de Monsieur Bordela en dépit de l'absence de majorité RN à
l'Assemblée.
Si la Présidente dispose en période de concordance des majorités d'un pouvoir
quasi-discrétionnaire pour choisir son Premier ministre en vertu de l'article 8
alinéa 1, la situation de Madame Lebique s'annonce plus complexe. En effet, si rien
dans cet article ne l'empêche de nommer Monsieur Bordela, les articles 20 et 50
précisent que le Gouvernement est responsable devant le Parlement. Il est vrai que
l'article 49 alinéa 1 prévoyant que le Premier ministre engage la responsabilité du
Gouvernement sur une déclaration de politique générale ou sur son programme
ne comporte aucun délai. Absence qui empêche de considérer cette procédure
comme obligatoire, aucune investiture n'étant nécessaire avant ou après la
nomination du Gouvernement. Cela peut permettre de former un Gouvernement
Bordela, mais son existence risque d'être de courte durée. En effet, la réaction de
l'Assemblée est à prévoir et l'article 49 alinéa 2 lui offre les moyens de renverser
le Gouvernement grâce à une motion de censure. Le dépôt de celle-ci nécessite
signature d'un dixième des députés (58) ce qui sera obtenu facilement au vu de
la composition de l'Assemblée. Son adoption est plus difficile puisqu'elle nécessite
le vote de la majorité absolue des députés soit 289 voix. Toutefois, la composition
de l'Assemblée montre que ce chiffre devrait être assez facilement réuni, le groupe
LREM comportant 260 députés qui pourront trouver auprès des députés de gauche
(100 députés) comme de droite (150) l'appui nécessaire.
Notion qu'il convenait d'expliciter.
Dans ce cas, le groupe qui
soutient le Gouvernement est le
plus important de l'Assemblée,
mais il ne détient pas la majorité
absolue des sièges. Si tous les
autres groupes se coalisent, ils
peuvent donc le renverser. Les
Gouvernements de M. Rocard,
E. Cresson, P. Bérégovoy (1988 -
1993) et d'E. Borne (depuis 2022)
sont ainsi des Gouvernements
minoritaires.
Cette occurrence ne s'est jamais produite dans la mesure où les Présidents ont
habituellement choisi leur Premier ministre dans le parti majoritaire à l'Assemblée,
même si cette majorité n'était que relative. Habituellement, le Président choisit un
membre de sa majorité qui vient de remporter les élections législatives. Toutefois,
des cohabitations se sont déjà produites sous les mandats de François Mitterrand
et Jacques Chirac. Ceux-ci, en 1986, 1993 et 1997 ont dû, après l'échec de leur parti
aux élections législatives, nommer Premier ministre le leader du parti majoritaire,
renouant ainsi avec le régime parlementaire moniste.
Madame Lebique ne semble donc pas pouvoir échapper à une cohabitation, sauf
à rechercher l'épreuve de force avec l'Assemblée. Elle peut également décider
d'utiliser l'article 12 pour dissoudre celle-ci en espérant avoir une plus forte majorité.
Toutefois, en cas de nouvelle déconvenue, elle ne pourra plus dissoudre l'Assemblée
avant un an et risque d'être politiquement poussée à la démission. Il est dès
lors très peu probable qu'elle procède de la sorte.
Espérant avoir répondu à vos attentes, je demeure à votre disposition pour toute
information complémentaire.
Bien à vous
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