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PRÉCIS DE CULTURE JURIDIQUE
Cette vision traditionnelle du lien contractuel, qui a régné pendant plusieurs décennies,
n'est plus seule de saison aujourd'hui ; elle cohabite, depuis plus d'un demi- siècle désormais,
avec une autre. L'observation du phénomène contractuel conduit, en effet, à constater que,
parfois, au stade de la conclusion du contrat, un des contractants se trouve en situation
d'infériorité économique, intellectuelle, psychologique, technique, par rapport à son partenaire.
Et le contrat est alors rédigé par la partie dominante, il est composé par celle- ci et
imposé à son cocontractant. Ainsi conçue, la loi contractuelle est parfois le reflet de cette
inégalité et la source d'une injustice qui se traduit par des abus et des excès. Et les exemples
ne manquent pas, tant en législation qu'en jurisprudence, de règles qui accordent au juge
le pouvoir d'annuler le contrat ou une de ses clauses ou d'exercer un pouvoir de révision,
quand celui- ci peut caractériser un déséquilibre contractuel excessif qui est le produit d'un
rapport de forces existant au stade de la formation du contrat.
Finalement, aujourd'hui, coexistent dans notre univers contractuel, deux planètes de nature
sensiblement distincte. La première incarnée par la figure contractuelle classique du contrat
de gré à gré, définie par l'article 1110, alinéa 1 du Code civil, comme « celui dont les stipulations
sont librement négociées par les parties ». Planète dont le centre de gravité constitue la
liberté contractuelle, comme le texte le révèle. La seconde planète contractuelle est irriguée
par la figure du contrat d'adhésion que l'alinéa 2 de l'article susvisé définit comme
celui « dont les conditions générales, soustraites à la libre négociation, sont déterminées à
l'avance par l'une des parties ». De façon moins édulcorée et éthérée, on peut opter pour une
conception plus dynamique de cette figure contractuelle et l'entendre comme un « contrat
structurellement déséquilibré »2
, un contrat dont la conclusion n'a pas été placée sous les
auspices de la liberté. Au fond, dans cette vision, le contrat d'adhésion se caractérise par
l'absence de liberté contractuelle lors de sa formation, laquelle emporte des risques d'abus
et d'excès de la part du contractant qui compose le contrat unilatéralement.
La profonde différence de nature entre ces deux figures contractuelles, que sont le contrat
de gré à gré et le contrat d'adhésion, emporte nécessairement une distinction sensible
de régimes. On aura fatalement plus de révérence à l'égard de la liberté contractuelle en
présence d'un contrat de gré à gré que lorsque le contrat litigieux sera d'adhésion, dans
lequel cette liberté est souvent un simple leurre, un trompe- l'œil.
Cette dualité conceptuelle dans notre droit contemporain des contrats explique de
nombreuses interventions du législateur et du juge en matière contractuelle. Le contrat
d'adhésion est, en effet, la cible privilégiée des règles légales et des décisions jurisprudentielles
qui accordent au juge le pouvoir d'annuler ou de réviser un contrat, ou de réputer non
écrites ou de réviser ses clauses. Que l'on songe, par exemple, au Code de la consommation
dont les règles sont conçues en fonction d'un contrat, produit d'un rapport de forces et
facteur de risques de déséquilibres ! Que l'on songe aussi au droit des pratiques restrictives
de concurrence qui protège les contractants professionnels contre des engagements
contractuels disproportionnés ou des clauses abusives, qui sont le fruit d'un rapport de
soumission ! Qu'on songe, enfin, à l'ordonnance du 10 février 2016 qui a réformé le droit des
contrats, et introduit dans le Code civil le contrat d'adhésion, dont certaines règles sont la
déclinaison et dont l'application est exclue lorsque le contrat est de gré à gré ! Et dans toutes
ces dispositions qui relèvent du droit spécial et, désormais, du droit commun du contrat,
on comprend bien que l'objectif du législateur consiste à restaurer la liberté contractuelle,
2. En ce sens, revet Th., « Le projet de réforme et les contrats structurellement déséquilibrés », in La réforme du
droit des contrats : du projet à l'Ordonnance, 2016, Dalloz, p. 67 et s.
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