Bibliothèque de droit social - Tome 87 - La défense de l'intérêt collectif en droit du travail - 27

INTRODUCTION GÉNÉRALE
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dans l'ordre juridique par l'intérêt se révèle avec une particulière netteté dans le destin
de la notion d'intérêt collectif.
B. IMPALPABLE COLLECTIF
7. Le choix d'appréhender la collectivité en lui attachant un intérêt propre est
significatif. Il correspond à une appréhension spécifique de la collectivité qui s'inscrit,
selon les termes d'Alain Supiot, dans une « conception rationnelle et instrumentale du
droit »57. Il témoigne, surtout, de la volonté du législateur et des juges d'insérer la
collectivité, rendue autonome par rapport aux individus qui la composent, dans un
système organisé de valeurs. Reconnaître l'existence d'intérêts collectifs suppose
ainsi de rompre avec une logique strictement individualiste et d'attribuer au bien de
la collectivité une valeur propre, susceptible de bénéficier d'une protection juridique
et « de s'immiscer [...] entre l'intérêt général et l'intérêt individuel »58.
L'innovation est de taille, d'autant plus qu'elle n'emprunte pas la voie classique de
la personnalisation, qui consiste à assimiler une entité à une personne en vue de lui
conférer des droits ordinairement réservés aux individus59.Avec l'intérêt collectif, le
collectif pénètre plus profondément que jamais dans l'ordre juridique ; les collectivités
- ou du moins certaines d'entre elles - sont admises à déborder du seul terrain des faits
pour investir le champ du droit. Se manifeste, par son intermédiaire, « une réalitéjuridique
originale, [...] un phénomène juridique complexe : l'ordre collectifprivé »60.La
reconnaissance de l'intérêt collectif, initialement rattaché à la profession, a ainsi marqué
l'intégration du «fait professionnel »61 àl'ordre juridique. Dès lors, les individus, travailleurs
ou entrepreneurs, « cessent d'être une masse, une somme d'individus, un simple
pluriel pour accéder à une reconnaissance comme entité, comme collectivité »62.
8. L'intérêt collectif se présente ainsi comme un véhicule privilégié du collectif en
droit du travail63. La traduction du phénomène collectif en termes d'intérêts pose néanmoins
d'épineuses difficultés. En effet, l'intérêt collectifdont la Cour de cassation consacre
solennellement l'existence en 191364 est un intérêt d'un genre nouveau. Il est l'intérêt
« qui n'est pas propre à un individu ou à plusieurs individus isolés, mais concerne un
groupe en tant que tel »65,ou encore « l'intérêt de la collectivité considérée comme une
entité générale et abstraite qui absorbe et dépasse la somme des intérêts individuels de
ses membres »66. De ce fait, il ne se confond pas avec une addition d'intérêts individuels,
57. A. SUPIOT, Critique du droit du travail, op. cit., p. 129.
58. E. JEULAND, « La notion d'intérêt comme moyen d'immixtion dans les rapports de droit », op. cit.,
p. 62.
59. J. RIVERO, « Impérialisme du droit social ? », op. cit., p. 370.
60. M. HECQUARD-THÉRON, « De l'intérêt collectif... », op. cit., p. 71.
61. S. NADAL, La profession et la branche : leur rôle dans la conception française de la convention
collective, ANRT, thèse Paris X - Nanterre, 1996, p. 132.
62. A. LYON-CAEN, « Action de groupe et droit du travail », Revue Lamy Droit civil, 2006, nº 33,
pp. 77-79, sp. 78.
63. Alain Supiot considère à cet égard que, dans le droit du travail contemporain, « l'intérêt [...]
remplace le sentiment comme principe d'union des individus », A. SUPIOT, Critique du droit du travail,
op. cit., p. 129.
64. Cass. réun., 5 avr. 1913, D.P., 1920. I. 49, rapp. FALCIMAIGNE, concl. L. SARRUT, note A.MESTRE.
65. J. ‑M. VERDIER, Syndicats et droit syndical, vol. 1, Traité de Droit du travail (dir.
éd., 1987, p. 629.
G.H. CAMERLYNCK), Dalloz, 2e
66. H. SOLUS,R. PERROT, Droitjudiciaire privé, t. 1, Sirey, 1961, p. 220.
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