Cultures marines n°332 - 30

30 DOSSIER

Performances économiques
Sandrine Guédo :

« Il faut être prudent
dans les choix stratégiques. »

Le mouvement des Gilets jaunes a fêté
ses un an. Il avait démarré mi-novembre,
en plein pendant le début de la saison des
huîtres. Quel impact a-t-il eu sur les entreprises ostréicoles ?
On va peut-être ﬁnalement davantage en
sentir les effets cette saison. L'année dernière, les entreprises avaient commencé à
mettre en bassin au moment où le mouvement a démarré. Les ostréiculteurs ont
été freinés dans leur élan. Là, à la mi-octobre, personne n'avait commencé à trier.
Il va falloir travailler sur un temps restreint
et le risque est de ne pas trouver la maind'œuvre pour traiter ces volumes. Plus on
attend, plus les ostréiculteurs vont aussi
avoir peur de se retrouver avec leurs huîtres
sur les bras, ce qui n'est pas bon pour les
prix.

Les difﬁcultés de recrutement ne sont pas
nouvelles. Les solutions sont compliquées
à mettre en œuvre ?
L'emploi a en effet été un des plus gros soucis de la ﬁlière la saison passée et ce sera un
vrai challenge pour les années à venir. C'est
un des effets de la crise des surmortalités.
Après 2008, certaines entreprises ont licencié et ont depuis recours à du personnel
saisonnier, de l'emploi précaire. Il faut aussi
ajouter que le métier n'est pas toujours très
attractif et que la ﬁlière souffre d'une mauvaise image. Les exploitants doivent motiver
les salariés à venir chez eux, chercher des
moyens de ﬁdélisation comme l'épargne
salariale par exemple.
Les entreprises conchylicoles utilisent peu les
plans d'épargne entreprise, l'intéressement,
les tickets-restaurant. On en voit très rarement chez les ostréiculteurs. De même, ils
La pousse n'a pas été très bonne au prin- ont la possibilité de proposer les offres d'un
temps. Les volumes ne semblent pas très comité d'entreprise, même s'il y a moins de
importants cette année.
50 salariés, ce qui permet
Pourquoi les prix ne
aux employés de disposer
montent-ils pas ?
d'avantages comme dans
« LES PRIX SONT TIRÉS
C'est vrai que c'est para- VERS LE BAS ALORS
les grands groupes.
doxal. Les prix sont tirés QU'IL N'Y A PAS
Une autre solution est de
vers le bas alors qu'il n'y a LES VOLUMES. »
mutualiser les moyens hupas les volumes. Je n'ai pas
mains avec des secteurs
d'explication à part le fait
d'activité complémentaire :
que raccourcir la saison sur un temps très le maraîchage, l'hôtellerie, la restauration,
limité ne stabilise pas les cours.
via les groupements d'employeurs.
Le prix de la vente au détail n'évolue pas
beaucoup d'une année sur l'autre. Quand La mécanisation est aussi une réponse à la
celui du gros baisse, l'intérêt pour la vente pénurie de main-d'œuvre ?
directe augmente. Comme on va manquer Oui, soit ce sont les chefs d'entreprise
de volumes cette saison, ceux qui font du qui compensent le manque de personnel,
détail et qui en ont l'expérience n'auront soit ils investissent dans la mécanisation
pas tellement de surplus pour vendre en pour de nouveaux outils de triage ou de
gros.
calibrage. Certains professionnels préféMais chacun doit bien mesurer la renta- raient, jusqu'à il y a peu, trier à la main mais
bilité réelle de chaque type de commer- face aux problèmes de recrutement, ils ont
cialisation. La vente directe nécessite une été obligés de s'équiper en machines.
bonne organisation. Elle génère des frais
et elle est chronophage, alors que les en- Le fonds européen pour les affaires maritreprises font déjà face à une pénurie de times et la pêche a aussi permis aux entremain-d'œuvre.
prises de se moderniser ?
Cultures marines n°332 Décembre 2019 - janvier 2020

Marion Larronde-Larretche

Mortalités toujours présentes, pénurie de main-d'œuvre, prix tendus,
selon Sandrine Guédo, cogérante de Nautil, il est souvent compliqué
d'être chef d'une entreprise conchylicole aujourd'hui.

LES CONCHYLICULTEURS
DOIVENT COMPOSER AVEC DE
NOMBREUX PARAMÈTRES
QU'ILS NE MAÎTRISENT PAS. »
Il n'y a en effet pas eu beaucoup de
constructions de chantier, les demandes
concernaient surtout des projets de mécanisation. On voit bien d'ailleurs dans
les bilans des entreprises que l'investissement et l'endettement augmentent. Mais
l'enveloppe Feamp a été mangée trop
rapidement...
Le tableau que vous dressez de la ﬁlière
n'est pas très optimiste. C'est compliqué
d'être chef d'une entreprise conchylicole
aujourd'hui ?
Les conchyliculteurs doivent composer
avec de nombreux paramètres qu'ils ne
maîtrisent pas : le stock, fonction de la
pousse et des mortalités, les prix de vente,
souvent à la merci des GMS, les achats
d'huîtres, dépendants du captage et là encore des mortalités du naissain et des juvéniles, la qualité des eaux et les fermetures
administratives qui peuvent aller avec. Les
années ne se ressemblent pas et il est très
dur d'anticiper et de se projeter, même à
court terme. Il faut être prudent dans ses
choix stratégiques, d'investissements et de
circuits de commercialisation. Les conchyliculteurs n'ont plus de lisibilité et doivent
aujourd'hui sans cesse revoir leur schéma
de production en s'adaptant aux aléas.
Propos recueillis par
Marion Larronde-Larretche

Cultures marines n°332

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