Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 25

INTRODUCTION
même si, à la suite de F. Zenati et Th. Revet, nous pensons qu'« en dépit de leurs
différences, les personnes physiques et les personnes morales relèvent d'une même
catégorie, celles des personnes juridiques »56
. Mais si la subdivision commode entre
personnes morales et personnes physiques ne doit pas être conçue comme une
summa divisio, traiter les deux types de personnes conjointement non seulement
heurte le sens commun, mais surtout affadit, d'un côté, la perception des problèmes
découlant de l'absence de corps et de volonté clairement identifiable des personnes
morales, d'un autre côté l'analyse des questionnements juridiques suscités par le
fait que les personnes physiques sont, justement, lestées d'un corps. Et si le corps
est la manifestation tangible de la personne physique, alors on ne peut plus se
contenter de traiter marginalement des chocs qui affectent ce corps et, par là
même, la personne. Il faut prendre au sérieux la dé-liaison du corps et de la personne,
dans toutes ses déclinaisons : personnes sans corps, corps sans personne,
entités à mi-chemin du corps et de la personne.
Ainsi, le corps sera l'axe de rotation de la réflexion, qu'il soit présent ou absent
(en anglais, « personne » se dit « nobody », « pas de corps »), passé ou à venir, naturel
ou construit, réel ou virtuel.
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Tranchant dans le vif, un tel parti pris a l'inconvénient de paraître postuler que
les corps sans personne sont des sujets de droit à part entière. Or tel n'est pas le
propos car la véritable question est plutôt de déterminer si l'on peut maintenir telle
quelle la summa divisio des choses et des personnes ou si le droit des personnes du
XXI
e siècle mute plutôt vers un droit des intérêts ou un droit des hybrides57
ainsi fin à la croyance en une théorie unitaire du sujet de droit58
mettant
.C'est pourquoi la
présentation quaternaire ici retenue ne préjuge pas d'emblée du point de savoir si
les embryons, par exemple, sont ou non des sujets de droit ni s'il faut conférer la
■ 56. F. ZENATI-CASTAING et T. REVET, Manuel de droit des personnes, PUF, 2006, p. 20.
« Les personnes morales s'opposent aux personnes physiques en ce qu'elles ne reposent pas sur un substrat
biologique, ce qui explique leur prédicat moral, mais elles n'en ont pas moins un substrat réel, bien que
largement incorporel, à savoir l'organisme que constitue l'œuvre ou la communauté qui est à l'origine de
leur apparition. Réciproquement, d'ailleurs, les hommes ont tout autant une superstructure juridique que les
organismes ; tout comme les personnes physiques, les personnes morales ne sont pas réalité matérielle mais
formelle » (idem, p. 16). Les deux peuvent donc être subsumées sous l'expression « personnes juridiques ».
■ 57. Voir G. FARJAT, « Entre les personnes et les choses, les centres d'intérêt. Prolégomènes pour une
recherche », RTD civ. 2002, p. 221 et s. ; S. PRÉTOT, Les communautés d'intérêts. Essai sur des ensembles
de personnes dépourvus de personnalité juridique, PUAM, 2018 ; S. VANUXEM, Les choses saisies par la
propriété, IRJS Éditions, 2012 ; S. VANUXEM, « Les choses saisies par la propriété. De la chose-objet aux
choses milieux », Revue interdisciplinaire d'études juridiques 2010/1, vol. 64, p. 123 et s. ; S. VANUXEM,
Des choses de la nature et de leurs droits, Quae, 2020 ; S. BOURGEOIS-GIRONDE 2020, Être la rivière : comment
le fleuve Whanganui est devenu une personne vivante selon la loi, Paris, PUF, 2020 ; D. ROMAN, La
cause des droits. Écologie, progrès social et droits humains, Dalloz, 2022 ; J.-P. MARGUÉNAUD et C. VIAL,
Droit des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, Mare&Martin, 2022.
■ 58. Cette absence de théorie unitaire est ancrée depuis longtemps en droit international, plus précisément
depuis un avis de la Cour internationale de justice, en date du 11 avril 1949, énonçant, à propos de la
capacité de l'Organisation des Nations unies à formuler des réclamations à un État : « Les sujets de droit,
dans un système juridique, ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature ou à l'étendue de leurs
droits ; et leur nature dépend des besoins de la communauté juridique. Le développement du droit international,
au cours de son histoire, a été influencé par les exigences de la vie internationale, et l'accroissement
progressif des activités collectives des États a déjà fait surgir des exemples d'action exercées sur le plan
international par certaines entités qui ne sont pas des États » (Recueil 1949, p. 178).
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