Précis Domat - Droit des personnes - 2e - 292

DROIT DES PERSONNES
façon de vivre, justement, c'est-à-dire non seulement cesser de manger les animaux,
mais également empêcher les animaux de manger leurs congénères, c'està-dire
considérer que, ce faisant, ils deviendraient cannibales. De manière plus prosaïque,
mais pour rester dans le registre de l'attribution de la personnalité et de ses
conséquences, il faudrait supprimer l'identification obligatoire par marquage des
chiens, chats et carnivores domestiques39
.
Ensuite, il est sans doute vrai « qu'il faut cesser d'attribuer seulement à
et considérer que les êtres simplement sensibles tout aussi dignes
l'homme une réelle considération morale et étendre l'égalité aux autres vivants
qui souffrent »40
de protection par le droit que les individus rationnels et autonomes. À ce titre, ce
qui peut être fait pour améliorer la condition animale, quitte à heurter des intérêts
constitués (l'industrie alimentaire et pharmaceutique, la chasse, les religions qui
sacrifient des animaux, l'industrie du loisir, etc.), doit l'être. Autre chose est, en
personnifiant les animaux (mais alors, pourquoi pas les robots, les embryons, les
cadavres, etc. ?) ou, plus exactement, en les investissant d'une personnalité
humaine, d'oublier justement la dimension proprement humaine du droit. Le caractère
maintenant malheureusement répandu de l'expression « droit animal », en lieu
et place de « droit animalier », reflète cette confusion41
:qu'on le veuille ou non,
même si le droit peut et doit protéger des intérêts non humains ou des intérêts
humains non réductibles à ceux des personnes physiques, il est fait par les hommes.
C'est donc moins parce que la personnification de l'animal déshumaniserait ou animaliserait
l'homme42
tion de l'animal doit être rejetée43
divergent d'un intérêt humain46
homme/animal, faite notamment d'affection44
mutuelle45
, que parce qu'elle déshumanise le droit que la personnifica.
Il semble plus pertinent de réfléchir à la relation
et de tentative de compréhension
, mais qui peut être conflictuelle et faire apparaître un intérêt animal
, que de construire une personnalité animale, voire
■ 39. Voir C. rur., art. D. 212-63 et s., pris en application de l'article L. 212-10 du même code.
■ 40. C. PELLUCHON, L'autonomie brisée. Bioéthique et philosophie, Paris, PUF, coll. « Léviathan », 2009,
p. 226. Voir de façon plus générale le chapitre III, « L'animal, le plus autrui des autrui ».
■ 41. La confusion n'est justement pas commise dans la Revue semestrielle de droit animalier.
■ 42. Cette thèse est développée par Pierre-Jérôme Delage, auteur d'une somme sur la question, partisan
du maintien de la summa divisio, refusant la personnification et élaborant un régime énergique, largement
imprégné de droit pénal, de protection de « l'esséité » de l'animal qui ne le réduise pas à une pure chose.
Voir P.-J. DELAGE, La condition animale : Essai juridique sur les justes places de l'Homme et de l'animal,
Mare&Martin, 2016.
■ 43. Voir R. LIBCHABER, L'ordre juridique et le discours du droit. Essai sur les limites de la connaissance
du droit, LGDJ, 2013, p. 209 et s., nº 158-1 : les collectivités de certains animaux, par exemple les
grands primates, pourraient nous apparaître dans un premier temps comme des communautés juridiques
mais « les animaux adhèrent à leurs routines de façon trop immédiate et instinctive pour que l'on puisse
évoquer quelque ressemblance entre ces régularités fonctionnelles, et le caractère dynamique d'un système
de droit » (p. 211).
■ 44. Voir la reconnaissance du préjudice d'affection dans la fameuse affaire du cheval Lunus :
Cass. 1re
civ., 16janvier 1962, D. 1962, 199, note RODIÈRE.
■ 45. Voir V. DESPRET, Que diraient les animaux si... on leur posait les bonnes questions ?, Les empêcheurs
de penser en rond, 2012.
■ 46. Voir le numéro spécial consacré par la revue Actualité juridique Famille àl'animal et à la famille
(2012/2). Sur la notion de centre d'intérêts, voir G. FARJAT, « Entre les personnes et les choses, les centres
d'intérêts. Prolégomènes pour une recherche », RTD civ., 2002, p. 221 et s.
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