Bibliothèque de droit public - Tome 298 - Les théories jurisprudentielles en droit administratif - 324

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LES THÉORIES JURISPRUDENTIELLES EN DROIT ADMINISTRATIF

nouvelle règle juridique195. Dans le cadre des théories jurisprudentielles, le juge
administratif fait état de ce que Ch. Perelman appelle des lacunes contra legem :
il évite l'application de la règle traditionnelle dans un cas d'espèce et en restreint
donc la portée par l'introduction d'un principe général qui la limite196.
857. D'un point de vue positiviste cependant, la lacune ne peut avoir de définition intrinsèque : parce qu'elle est toujours relative à quelque chose qui aurait dû
exister, elle n'est autre que ce que le juge considère qu'elle est. En effet, si toutes les
situations de fait ne peuvent être explicitement prévues par le droit, l'ensemble des
normes doit pouvoir offrir une solution juridique satisfaisante aux problèmes qu'elles
posent. Le juge se trouve dans un cas où une ou plusieurs solutions sont juridiquement valides. Alors qu'il pourrait appliquer la règle logiquement applicable à la situation d'espèce, il décide d'y substituer une règle dérogatoire censée répondre de façon
plus satisfaisante au problème posé. Il s'agit ainsi d'une « fausse » lacune, une lacune
malgré l'existence d'une norme valide, mais dont est contestée l'opportunité197. En la
constatant, le juge la crée et consacre simultanément une nouvelle règle juridique qu'il
applique. Constater une lacune est alors un jugement d'opportunité porté sur la
norme par rapport à une idéologie partagée de l'ordre normatif.
858. L'ensemble des théories jurisprudentielles émerge de la volonté du juge
administratif de mettre en œuvre une nouvelle norme juridique destinée à mieux
régir les circonstances particulières. C'est pour des motifs d'opportunité qu'il
décide de substituer à la règle juridiquement applicable une règle dérogatoire qui
fera l'objet d'une théorisation progressive. Et c'est également à partir de ces motifs
que cette dernière connaîtra des interprétations fluctuantes au cours de l'histoire
du droit administratif. Cette opportunité dans le contrôle a pu parfois être dénoncée par certains auteurs198.
859. S'il est par définition inconvenant de parler de contrôle de l'opportunité
par le juge199, pourtant, l'opportunité dans le contrôle peut parfois s'apparenter au
contrôle de l'opportunité. Le contrôle juridictionnel mis en œuvre dans l'application des théories porte ainsi souvent davantage sur l'opportunité de la décision
administrative que sur sa légalité. Il ne s'agit pas d'un rapport de conformité au
droit, mais d'adaptation de l'action aux circonstances qui l'ont entourée200, marquant un effacement de la distinction des différents contentieux201. Dans le cadre
195. J.-F. Perrin, Pour une théorie de la connaissance juridique, Droz, Genève, 1979, p. 110.
196. Ch. Perelman, Logique juridique. Nouvelle rhétorique, Dalloz, Méthodes du droit, 2e éd.,
1979, p. 48.
197. P. Foriers, « Les lacunes du droit », in Le problème des lacunes en droit, études publiées par
Ch. Perelman, Bruylant, 1968, p. 9 et p. 23.
198. On peut prendre l'exemple d'A. Démichel, plutôt coutumier en matière de controverses,
qui, de façon virulente et inhabituelle pour le format de la note juridique, critique un arrêt Préfet du
Lot-et-Garonne du Tribunal des conflits du 13 novembre 1964, jugeant l'absence de voie de fait pour
rejeter la compétence judiciaire. Il dénonce la construction d'une catégorie arbitraire d'« actes de
haute police, bénéficiant d'une totale immunité juridictionnelle de fait », D., 1965, p. 673.
199. Selon la formule de P. Delvolvé, « Il n'y a jamais de contrôle de l'opportunité ; il y a
toujours de l'opportunité dans le contrôle », P. Delvolvé, « Existe-t-il un contrôle de l'opportunité ? »
in Conseil constitutionnel et Conseil d'État. Colloque des 21 et 22 janvier 1988 au Sénat,
LGDJ Montchrestien, éd. 1988, p. 277 et s.
200. D. Truchet, Les fonctions de la notion d'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil
d'État, thèse, LGDJ, Bibl. de droit public, 1977, t. CXXV, pp. 317-318.
201. Les théories peuvent avoir aussi bien pour effet d'annuler un acte de l'administration que
d'indemniser l'administré victime de l'action administrative.

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