Droit et Économie - L'ordre public économique - 18

18 L'ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE

imposées aux contractants (des pans entiers du droit, comme le droit du
travail, se développant à partir du XIXe siècle comme d'ordre public).
La doctrine du XIXe siècle reprend le plus souvent l'idée romaine d'un
ordre public comme cadre dans lequel les parties doivent nécessairement
s'inscrire pour donner pleine validité au contrat. Mais, à partir de la fin du
e
XIX siècle, pour les juristes qui font de l'autonomie de la volonté le fondement de la force obligatoire des contrats, l'ordre public devient une
contrainte pesant sur la liberté individuelle22. Le texte de Ripert, évoqué
plus haut, s'inscrit dans un débat très actif dans la doctrine des années
1930-1950, qui oppose, conceptuellement, droit public et droit privé et,
politiquement, partisans ou opposants du renforcement de l'État dans le
domaine économique23. Ripert dénonce l'interventionnisme économique
de l'État et le caractère impératif de plusieurs lois, qui marquent la rétraction du droit privé, pourtant présenté comme sphère des libertés individuelles : « Tout devient droit public »24. Pour René Savatier, la personne
humaine, finalité du droit privé, impose de réaffirmer la prééminence de
ce dernier face à la trop grande emprise du droit public et au risque de
dérive totalitaire25. Le droit public devient un danger pour les libertés individuelles à cause de ses « règles impératives et prohibitives » qui encadrent
tous les contrats au nom du bien commun (bien commun économique dans le
cas de l'OPE) : « nous entrons dans une époque où notre droit reconnaît, à
la Discipline économique, le pouvoir de discerner un Bien économique, au
nom de qui on contraindra l'homme : un Bien pour la réalisation duquel
on confisquera, en partie, sa liberté contractuelle »26.
22. Sur l'apparition de la notion d'autonomie de la volonté à la fin du XIXe siècle, V. RANOUIL,
L'autonomie de la volonté : naissance et évolution d'un concept, Paris, PUF, 1980. C'est en ce sens
que la notion est également mobilisée en droit public, ainsi à propos de l'ordre public économique, opposé au principe de liberté d'entreprendre par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
23. Le débat est notamment relancé par le mémoire de J. FLOUR, « Rapport sur l'influence du
droit public sur le droit privé en France », Travaux de l'association Henri Capitant pour la culture
juridique française, Paris, Dalloz, 1947, p. 184-199, qui entraîne une série d'articles au Dalloz et
une réplique de C. EISENMANN, « Droit public, droit privé », RDP, 1952, p. 904-979. Sur les
enjeux du débat, É. DESMONS, « Droit privé, droit public », in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, p. 520-525 ; G. RICHARD, Enseigner le droit public à Paris
sous la Troisième République, Paris, Dalloz, 2015, p. 385-387.
24. G. RIPERT, Le déclin du droit : études sur la législation contemporaine, LGDJ, 1949, titre du chapitre II emprunté à Portalis, p. 40.
25. R. SAVATIER, Du droit civil au droit public à travers les personnes, les biens et la responsabilité civile,
Paris, Pichon, 1945, voit dans la multiplication des obligations imposées aux individus par
l'État la marque de la progression du droit public.
26. R. SAVATIER, « L'ordre public économique », D. 1965, chron., p. 37-44 (p. 37). L'article distingue nettement l'OPE, changeant en fonction de la politique économique et reposant sur des
« normes provisoires » (p 41), du reste de l'ordre public. On pourra être circonspect sur cette
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