Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 11

Introduction

l'espoir qu'en laissant les intérêts exercer leurs pressions elles se
contrebalanceraient15.
Faisant avancer des causes particulières en marge du jeu
démocratique officiel qu'il contourne, de la politique électorale qu'il
biaise et de la répartition des fonctions politiques et administratives
dont il se joue, le lobbying a donc été perçu comme peu compatible
avec les exigences de l'idéal démocratique. Classé dans les sociétés
où la méfiance à l'égard des corps intermédiaires et des intérêts
particuliers était la plus prononcée, parmi les formes d'interventions
illégitimes, voire illégales, qu'il faut, sinon proscrire, du moins
étroitement réguler, il a été relégué dans l'officieux, pour ses
pratiques les plus contraires à la conception dominante de ce que
doit être le champ politique démocratique16. Dans ces pays, dont la
France est le prototype17, il constitue un sujet tabou18. Marqué par
une culture politique d'inspiration rousseauiste qui délégitime les
groupes d'intérêt19, il a d'abord été cantonné dans un répertoire
d'actions occultes qui, pour être invisibles, n'en étaient pas moins
efficaces et nourrissaient tous les fantasmes associés à la puissance
manipulatrice des sociétés secrètes. Dans ces contextes hostiles à la
représentation des intérêts20 où était véhiculée « l'image d'Épinal d'un
État vertueux décidant de l'intérêt général en dehors de toutes
contingences sociales et celle, moins glorieuse d'un État simple
organisateur d'intérêts catégoriels »21, son existence bien réelle22
n'apparaissait publiquement qu'à l'occasion de scandales politicofinanciers ou de catastrophes qui révélaient ses interventions
souterraines et leurs effets néfastes.
Initialement rejeté dans les marges sulfureuses du jeu politique
et ramené au rang de pathologie de la démocratie dont la corruption
est la forme la plus grave23, le lobbying a pris un caractère plus
officiel dès la fin du XIXe siècle sous l'effet de la structuration des
15. J. MADISON, « Le Fédéraliste, nº 10 », in A. HAMILTON, J. JAY, J. MADISON, op. cit., p. 73 et s. ;
A. HAMILTON ou J. MADISON, « Le Fédéraliste, nº 51», op. cit., p. 432-434 et « Le Fédéraliste,
nº 54», p. 458.
16. Y.-M. DOUBLET, « L'intégrité », in V. DUCLERT, Ch. PROCHASSON, Dictionnaire critique de la
République, Flammarion, 2007, p. 194.
17. Y. POIRMEUR, D. ROSENBERG, Droit des partis politiques, Ellipses, 2008.
18. C. SAVÈS, Pathologie de la démocratie, Éditions Imago, 1993, p. 156.
19. S. H. BEER, "Pressure Groups and Parties in Britain", American Political Science
Review, mars 1956, p. 1 et s.
20. M. OFFERLÉ, Sociologie des groupes d'intérêt, La Découverte, 2003, p. 12.
21. Y. MÉNY, Politiques comparées, Montchrestien, 1991.
22. Sur sa réalité : F. L. WILSON, Interest-group politics in France, Cambridge University Press,
1987.
23. C. SAVÈS, op. cit., p. 113 et s et p. 153 et s.

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