Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville - 60

Actes de colloque

"

Nombre de solutions du droit
positif, et du droit des affaires
en particulier, témoignent
du destin funeste bien souvent réservé
aux perspectives de rattrapage

"

Ainsi, à peine évoquée, l'idée même de seconde chance
voit se dresser devant elle les objections les plus solides
et apparemment les plus dirimantes. Et de fait, nombre de
solutions du droit positif, et du droit des affaires en particulier, témoignent du destin funeste bien souvent réservé
aux perspectives de rattrapage.
Qu'il suffise ici de rappeler l'interdiction qui est faite au
débiteur cambiaire de pouvoir solliciter du juge un délai
de grâce pour s'exécuter (1) ; ou encore la sévérité du sort
réservé au locataire commerçant qui, pour ne pas avoir
été immatriculé au registre du commerce et des sociétés
au moment où il a reçu congé, se verra refuser le droit
au renouvellement de son bail, sans pouvoir rien attendre
d'une inscription tardive à ce registre (2).
Dans un autre ordre d'idées, on pourrait aussi évoquer la
rigueur de cette solution qui marque du sceau de l'irréversibilité la démission donnée par un gérant au cours
d'une assemblée générale qui sera pourtant elle-même
ultérieurement annulée (3). Ou encore compatir au sort
implacable que notre droit réserve aux actionnaires qui
ont accepté une clause buy or sell, et qui ne trouveront aucune échappatoire pour se soustraire au véritable coup de
poker qui décidera de leur situation le jour où cette clause
sera actionnée par l'un d'eux (4).
Et sans allonger à l'excès la liste de ces solutions
juridiques qui cristallisent des situations acquises en interdisant toute possibilité d'évolution favorable, comment
ne pas souligner le rude coup que porte à l'optimisme
la consécration de l'exceptio  timoris (5)  ; cette exception
d'inexécution préventive est aux antipodes de la seconde
chance, puisqu'au lieu de parier sur un possible rattrapage
du contractant en difficulté, elle anticipe sa défaillance et
table sur elle avant même son avènement.
Mais faut-il en déduire pour autant que la seconde chance
n'ait pas sa place dans notre droit des affaires ?
Ce serait très largement infondé. D'abord, ce serait méconnaître l'évolution constante et assurée du droit des
entreprises en difficultés qui, au fil des réformes, ne cesse
d'entretenir une véritable culture de la seconde chance :

(1) C. com., art. L. 511-81.
(2) Cass. 3e civ., 28 déc. 2012, n° 11-26762 ; Cass. 3e civ., 6 janv. 1993,
n° 91-13904 ; Cass. 3e civ., 1er févr. 1989, n° 87-15123.
(3) Cass. com., 8 juin 2017, n° 14-29618.
(4) Cass. com., 29 sept. 2015, n° 14-15040 : Dr. sociétés 2016, comm. 1, note
Mortier R. ; RLDC 2016/135, n° 6138, obs. Marpeau B. et Dietrich F. ; BJS
janv. 2016, n° 114p2, p. 20, note Dondero B. ; D. 2016, p. 407, note Moury J.
et François B. ; RJDA 3/16, n° 198 ; RLDA 2016/115, n° 5919, obs. Mestre J.
et Mestre-Chami A.-S.
(5) C. civ., art. 1220.

60

G A Z E T T E D U PA L A I S - M E r C r E D I 1 9 J U I N 2 0 1 9 - N O h o rs - s é ri e

seconde chance pour l'entreprise bien sûr, et, plus nouvellement, seconde chance pour son exploitant. Et puis, ce
serait faire fi de nombre de solutions qui, en dehors même
de ce cadre, permettent de se convaincre de ce que le droit
des affaires est loin d'être arc-bouté sur une posture rigide conduisant à cristalliser les échecs, et qu'à bien des
égards, par humanité mais aussi souvent par intérêt, il réserve des possibilités de rattrapage et de rebondissement.
Le plus souvent, il le fait de manière douce en créant un
climat propice à de telles opportunités (I). D'autres fois, il
le fait de manière plus hardie en consacrant un véritable
droit à la seconde chance (II).

I. LA SECONDE CHANCE,
UNE OPPORTUNITÉ FAVORISÉE
Le droit des affaires n'est pas hostile à la deuxième
chance. Il apparaît même qu'à certains égards il la permet, voire la promeut. Il la permet en traçant des voies qui
refusent l'irréversibilité de l'échec et rendent possibles
l'évolution des situations (A). Il la promeut en réservant
un traitement bienveillant à ceux qui prennent le risque
de tendre la perche (B).

A. Les voies de la seconde chance
Dans son jardin, le droit trace parfois les chemins de la
seconde chance, et il nous semble qu'il le fait au moins de
deux manières.
Il le fait parfois en sollicitant le temps, c'est-à-dire en refusant de figer les situations dans un instant qui leur serait
funeste pour leur laisser la possibilité d'évoluer dans un
sens plus favorable.
En droit des sociétés, par exemple, c'est bien cette approche temporisatrice qui permet de ne pas condamner
de manière irréversible les sociétés qui n'ont plus d'activité économique. Les contraindre à la dissolution, quitte à
permettre leur reconstitution en cas de reprise d'activité,
serait assurément une voie possible, mais ô combien coûteuse fiscalement. Or la jurisprudence ne se résout pas à
un tel schéma (6) et accepte, tout en s'efforçant par ailleurs
de combattre les risques que cela comporte, le statut de
société en sommeil qui permettra à la société aujourd'hui
léthargique de pouvoir éventuellement reprendre demain
une activité.
Et la logique qui préside à une telle posture est loin d'être
isolée (7). On songe ainsi à la possibilité qui est laissée
au chef d'entreprise de renouveler une période d'essai
lorsqu'il est encore hésitant sur l'opportunité d'employer
tel salarié. Évidemment, cette possibilité est très encadrée (8) et ne doit pas elle-même être utilisée de manière
abusive ni dévoyée ; mais lorsqu'elle est mise en œuvre

(6) La Cour de cassation refuse de voir dans la seule mise en sommeil un juste
motif de dissolution : v. ainsi Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27835 : D. 2012,
p. 2799 ; Dr. sociétés 2012, comm. 20, note Mortier R. ; Rev. sociétés 2013,
p. 283, note Chaput Y. - Cass. com., 23 mars 2010, n° 08-22073 : Rev. sociétés 2010, p. 163, note Amiel-Cosme L. ; JCP E 2010, 1449, note Viandier A. -
Cass. com., 17 janv. 1977, n° 75-12185 : Gaz. Pal. Rec. 1978, 2, jur., p. 519,
note Guyénot ; D. 1977, IR, p. 311, obs. Bousquet.
(7) V. par ex. CA Paris, 28 mars 1989 : Dr. sociétés 1989, 147, ayant admis que les
actionnaires d'une SA à capital variable pouvaient revenir, par un second vote
réunissant la majorité requise, sur une décision d'exclusion aussi longtemps que
celle-ci n'a reçu ni publicité ni commencement d'exécution.
(8) C. trav., art. L. 1221-21 et C. trav., art. L. 1221-23.
Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville

Table des matières de la publication Gazette du Palais - Hors série 3 - Réactivité et adaptation dans la vie des affaires - 44e Colloque de l'association Droit & Commerce - 22 et 23 mars 2019 - Deauville
