Fonction publique - Concours ENM 2024 - 7e - 118

Il faut cependant noter la proximité du terme avec la « compromission », dont la connotation négative
le rapproche de la lâcheté ou d'un machiavélisme mut par le seul l'intérêt. Ainsi, pour les philosophies
d'inspiration révolutionnaire, l'idée même de compromis est insoutenable, car elle conduit à transiger avec
ses opposants et, ce faisant, à trahir ses convictions dont il faut maintenir la pureté.
Le consensus et le compromis sont nécessaires à la vie en société, qui met en présence des individus et
des groupes aux intérêts, représentations et désirs contradictoires. À partir de cette position de dissensus
originelle, les institutions chargées de la régulation collective, qu'il s'agisse de la politique, de l'école, ou
plus largement des sources d'autorité (famille, religion, corps intermédiaires...), ont la tâche de produire du
consensus et du compromis afin d'assurer la nécessaire pacification de la vie sociale. En effet, leur poursuite
privilégie une approche non violente des rapports humains qui permet de réguler ou d'euphémiser les
conflits individuels et collectifs.
D'un point de vue politique, les deux termes sont inséparables de la démocratie libérale, qui promet
l'avènement d'un monde pacifié, dans lequel les clivages et conflits se règlent par des procédures rationnelles
fondées sur le respect du droit et des libertés fondamentales. Ces procédures organisent la délibération
collective, qui nécessite souvent des compromis entre les forces politiques en présence, et dont le résultat
bénéficie d'un consensus, si ce n'est sur son contenu (l'opposition est en désaccord avec la politique poursuivie
par le gouvernement), du moins sur sa légitimité (la décision démocratique est reconnue et respectée par
les opposants). La démocratie repose ainsi sur l'acceptation par la minorité de la loi de la majorité.
Au-delà de procédures décisionnelles ouvertes à tous, la démocratie porte en son cœur une éthique propre
valorisant la recherche du consensus et du compromis au sein d'un espace où les volontés s'expriment par
le dialogue et la discussion - dont l'exemple typique est le Parlement - plutôt que par la violence. Ainsi que
l'écrit le philosophe Frédéric Worms dans Les Maladies chroniques de la démocratie (2017), la démocratie
est une « aspiration morale et sociale qui naît du refus de la violence intérieure entre les êtres humains ; de la
violence qui surgit de l'intérieur des sociétés, des relations et des groupes ». Autrement dit, la démocratie n'est
pas seulement une forme institutionnelle organisant le « pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple »
(Abraham Lincoln) mais un affect particulier, un projet porté par des valeurs.
Cependant, l'on pourrait aisément arguer que le consensus et le compromis sont des faux-semblants ;
qu'ils constituent la voie vers le reniement d'un idéal de justice supérieur. En effet, la valeur qui leur
est spontanément attachée cède face au constat de l'irréductible diversité de désirs humains luttant pour
s'imposer aux autres. De ce point de vue, les doctrines révolutionnaires inspirées du marxisme affirment
que l'accord sur les valeurs au sein d'une société donnée se fait toujours au profit des plus forts, des
dominants, des possédants. C'est aujourd'hui une critique couramment faite au jeu électoral que de n'être
qu'une illusion, une tromperie qui ne permet pas la véritable représentation des intérêts populaires - et la
raison pour laquelle le mouvement des Gilets jaunes réclamait l'instauration d'un « référendum d'initiative
citoyenne ».
Pis, ni le consensus ni le compromis n'offrent de garantie quant au respect du bien commun : la majorité
peut parfaitement être gagnée par un fanatisme unanime et destructeur, ce dont témoigne l'histoire
des régimes totalitaires au xxe
siècle. De la même manière, l'expression de « consensus scientifique » est
trompeuse puisque la vérité n'a rien à voir avec le nombre de gens qu'elle persuade. Pour s'en convaincre,
il suffit de songer aux anciennes cosmologies qui, jusqu'aux travaux de Copernic et de Galilée, affirmaient
sans sourciller que la Terre était le centre fixe de l'univers. Dans notre contexte, il est désormais courant de
constater le recul des croyances partagées au profit d'une exacerbation des antagonismes particulièrement
prégnante sur les réseaux sociaux. Donald Trump ne défendait-il pas les alternative facts depuis la Maison
blanche ?
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