Fonction publique - Concours ENM 2024 - 7e - 119

Si nous valorisons collectivement le consensus et le compromis qui sont au cœur de notre système politique,
les discours anti-démocratiques dénonçant son « consensus mou » autant que les compromissions du jeu
politique semblent bien gagner en importance. Derrière ces phénomènes, nous pouvons déceler une crise
de notre « vivre-ensemble ». Comment l'expliquer ?
Nous verrons, dans un premier temps, que les principes cardinaux de la société démocratique que sont le
consensus et le compromis sont largement contestés (I), avant d'aborder, dans un second temps, les raisons
de la crise de notre capacité à élaborer un socle de valeurs communes (II).
I - La démocratie : une éthique du consensus et du compromis
contestée
La démocratie, dans la mesure où elle est fondée sur le principe du consentement de tous au pouvoir, se
doit d'organiser des procédures susceptibles de produire du consensus et du compromis (A). Ces valeurs
sont cependant largement contestées (B).
A - LE COMPROMIS DÉMOCRATIQUE
La société démocratique est une société particulière, car elle est fondée sur la philosophie contractualiste
des xviie
et xviiie siècles : elle résulte d'un accord de volontés entre des individus libres et égaux (Thomas
Hobbes, Jean-Jacques Rousseau). La démocratie entend donc fonder le pouvoir sur le consentement des
Hommes plutôt que sur l'usage de la force. Ainsi que le rappelle Bernard Manin dans ses Principes du
gouvernement représentatif (1995), l'institution électorale est l'incarnation politique du principe selon
lequel toute autorité légitime dérive du consensus de ceux sur qui elle est exercée. En effet, « la conception
moderne du droit naturel repose sur l'idée que tous les êtres humains ont en commun un élément essentiel
d'égalité, qu'on le nomme liberté, raison ou conscience morale. La théorie moderne du droit naturel reconnaît
que de multiples inégalités de force, de talent, de vertu ou de richesse séparent les êtres humains, mais son
principe central est qu'aucune de ces inégalités ne confère par elle-même le droit de gouverner les autres et de
leur imposer sa volonté. »
La logique démocratique s'oppose donc aux sociétés anciennes ou prémodernes, qui se concevaient comme
un ordre naturel prescrivant la place de chacun au sein d'une organisation inégalitaire. Par exemple, dans
la société d'Ancien régime, les fins bonnes et souhaitables que devait poursuivre la société étaient celles
livrées par la parole de Dieu. Nulle place, dès lors, pour le débat puisque le consensus de la collectivité sur
les valeurs à défendre était imposé et non débattu.
La société démocratique, dans la mesure où elle pose comme principe la liberté des Hommes, nécessite la
constitution d'un espace politique au sein duquel les volontés s'expriment et se confrontent ; un espace du
dialogue et de la délibération sans lequel les conflits ne pourraient être résolus, dont le meilleur exemple
est l'institution parlementaire.
C'est dans ses Vues sur les moyens d'exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789
que l'abbé Sieyès présente ses réflexions sur le rôle central de la discussion : si elle ne constitue pas en ellemême
un principe de décision, elle doit remplir cette fonction spécifique de la production de l'accord et du
consentement dans un référentiel politique privé de toute référence transcendante susceptible d'imposer
une vérité (la nature, la religion, la tradition). Ainsi, une mesure quelconque ne peut acquérir une valeur
de décision que si elle a emporté le consentement de la majorité à l'issue d'une discussion ou d'un échange
argumentatif.
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