Fonction publique - Concours ENM 2024 - 7e - 17

A - DE LA CONSTRUCTION DE LA FIGURE DU CITOYEN...
La conception révolutionnaire de la citoyenneté qui triompha en 1789 fut largement inspirée par l'œuvre
de Jean-Jacques Rousseau et sa vision unitaire d'une démocratie hostile aux intérêts particuliers. En effet,
la Révolution chercha à briser les ordres, corps et corporations d'Ancien régime qui commandaient l'inégale
distribution des privilèges au sein de la société. Pour les révolutionnaires, le citoyen est l'individu débarrassé
de ses appartenances particulières, dont la volonté et l'intérêt s'identifient à ceux de la collectivité. À
Rousseau, qui affirme dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne (1772) que la loi authentique
et juste ne peut être que « l'expression de la volonté générale », la Déclaration des droits de l'Homme et
du citoyen du 16 août 1789 répond que « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans
la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. » Cependant,
contre la conception rousseauiste, la Révolution conduisit à l'instauration d'un régime représentatif,
voulu notamment par l'Abbé Sieyès, assis sur le principe de la souveraineté nationale (v. l'article 27 de la
Constitution française du 4 octobre 1958, qui dispose que « Tout mandat impératif est nul. »).
La citoyenneté ne désigne pas seulement une relation entre l'individu et l'exercice du pouvoir. Elle renvoie
également à une certaine définition de la communauté politique constituée par l'ensemble des titulaires
de la souveraineté au sein d'un espace donné. On ne peut donc comprendre la figure du citoyen sans
envisager son inscription dans une nation, la nationalité déterminant l'acquisition des droits civils et
politiques attachés à la citoyenneté. Ainsi que le note Pierre Manent dans son Cours familier de philosophie
politique : « on veut se gouverner soi-même. Et pour se gouverner soi-même, il faut, dans le corps politique,
[...] produire un corps homogène susceptible d'être animé par une volonté commune ». Qu'il s'agisse des
révolutions politiques anglaise, américaine et française, ou des mouvements d'indépendance en Afrique
et en Asie durant le XXe
siècle, la revendication de la souveraineté nationale est ainsi consubstantielle à
l'affirmation de la citoyenneté démocratique. Ces réflexions mènent à interroger la nature du lien unissant
les citoyens dès lors que ceux-ci ne partagent plus une religion commune ou la sujétion au même monarque.
À la conception française de la « nation-contrat », se concevant comme un « plébiscite de tous les jours »
selon les mots d'Ernest Renan (Qu'est-ce qu'une nation ?, 1887), répond la « nation-génie » germanique
(v. par exemple les Discours à la nation allemande du philosophe allemand Fichte, prononcés en 1807 au
lendemain de la victoire napoléonienne sur la Prusse lors de la bataille d'Iéna), qui postule l'antériorité
du lien social, fondé sur la tradition, l'ethnie ou la culture. À cette opposition, Dominique Schnapper
répond, dans La Communauté des citoyens, que la nation civique ne nie pas les particularismes, qu'elle
laisse subsister dans la sphère civile, mais les transcende dans l'espace commun afin d'assurer l'égalité de
tous les citoyens : « ce qui fonde le principe - en même temps que les valeurs - de la nation démocratique, c'est
l'opposition entre l'universalisme du citoyen et les spécificités de l'homme dans la société civile. »
Si la période révolutionnaire fut celle de l'instauration de la conception moderne du citoyen, comme acteur
du régime démocratique et membre de la nation politique, l'étude de l'histoire révèle le dynamisme d'une
notion qui s'est progressivement enrichie. En effet, la Constitution de 1791 réservait le vote aux seuls
citoyens « actifs » capables de payer l'impôt et il fallut attendre 1848 et la proclamation de la IIe
République
pour que le suffrage devienne universel... pour les hommes. Sous l'empire colonial, l'universalisme des
principes ne bénéficiait pas davantage aux populations autochtones, considérées comme inaptes à exercer
pareille dignité. La citoyenneté n'étant rien sans la possibilité effective de l'exercer, la conquête des
droits civiques et politiques (droit de grève en 1864, lois sur la liberté de la presse en 1881, loi WaldeckRousseau
de 1884 autorisant les syndicats, liberté d'association en 1905...) fut le complément nécessaire
de l'extension du vote, selon l'idée. Notre conception de la citoyenneté étant inséparable d'une certaine
forme d'exigence civique, l'une des caractéristiques essentielles de ce statut est l'idée héritée des Lumières
selon laquelle les citoyens doivent disposer des capacités et savoirs nécessaires afin de participer à la vie
publique, qui fonde l'institution de l'école démocratique. C'est là le cœur du projet de républicain incarné
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