Les Intégrales - Droit de l'intelligence artificielle - 2e - 273

Cha p i t r e 8 - I n t e l l i gence ar t i f i c i el l e et d r oi t pén al
sans doute excessive mais il semble bien certain que, d'une affaire à l'autre, la femme ou
l'homme qui juge gagne en expérience mais pas nécessairement en connaissance immédiatement
mobilisable dans l'affaire suivante. L'idée d'une juridiction entièrement automatisée
paraît donc difficilement envisageable. Par ailleurs, à l'impossibilité de complètement
substituer une machine au juge, s'ajoute un bénéfice douteux pour l'institution
judiciaire. En effet, une part d'irrationnel entre dans la délibération qui est revendiquée
par les magistrats eux-mêmes : cette part d'irrationnel alimente l'idée qu'il y aurait là
quelque chose de sacré et donc d'infiniment respectable. La garantie d'un jugement
mécanique (donc nécessairement cohérent et impartial) ne peut s'y substituer. Faute de
propriété magique, cette garantie risque de ne pas suffire. Enfin, on ajoutera une objection
d'ordre philosophique : comparaître devant une machine peut être vécu comme le
comble de l'humiliation. Symboliquement, la solution paraît inacceptable. Peu importe
la perfection de la machine : elle ne peut être fondée à rappeler la loi en émettant un
jugement de valeur sur une conduite sans porter atteinte à la dignité de la personne
jugée. Seul un homme peut juger un autre homme. Un homme ne peut déléguer à une
machine le soin de juger un autre homme sans rabaisser cet autre homme en dessous
de la machine à laquelle il lui est demandé de rendre compte. Admettre qu'une
machine vaut mieux que lui reviendrait à le traiter en sous-homme. Il ne saurait donc y
avoir de « justice digitale ».
Mais cela ne met pas un terme à toute discussion. En effet, il ne s'ensuit pas que dans
les procédures, même les plus complexes, l'intelligence artificielle n'a aucun rôle à jouer
(A). Par ailleurs, il ne s'ensuit pas que, dans des procédures qui n'obéissent d'ores et
déjà plus à ce modèle idéal, l'intelligence artificielle ne peut rendre des décisions (B).
A- L'intelligence artificielle au service du juge
427 Distinction. - Si toutes les tâches du juge ne peuvent être déléguées à un robot,
certaines d'entre elles peuvent l'être. C'est d'ailleurs essentiellement dans cette perspective
que travaillent les legaltechs aujourd'hui. Toute la question est de savoir quelles
tâches déléguer et comment parvenir à des résultats satisfaisants. En France, la justice
pénale est mal préparée pour répondre à ces questions car elle a pris du retard en
matière informatique35
.
1 - Les tâches délégables
428 Perspectives. - D'ores et déjà, on a suggéré que la saisine d'une juridiction puisse se
faire en ligne, l'algorithme évaluant, en fonction des informations données par la
personne souhaitant se constituer partie civile, le montant de la consignation à déposer
avant que le dossier puisse être transmis à un parquetier pour qu'il prenne ses réquisitions.
A priori, une intelligence artificielle serait également suffisante pour exclure la
recevabilité d'une plainte dématérialisée ou d'une citation directe quand les faits
dénoncés ne semblent pas correspondre à la qualification pénale retenue, quand la
victime ne semble pas avoir personnellement souffert d'un dommage directement causé
par les faits ou quand le délai de prescription de l'action publique semble expiré au
moment où la consignation est effectivement déposée36
. Ensuite, on pourrait imaginer
que les demandes de renvoi à une audience ultérieure soient gérées informatiquement,
voire que l'ordinateur procède à la désignation d'un expert ou d'un interprète lorsque les
conditions en sont réunies. Les greffes y gagneraient aussi beaucoup de temps. Enfin, de
façon peut-être plus ambitieuse, on pourrait également envisager de recourir à
(35) V. A. TOURÉ, L'influence des nouvelles technologies dans l'administration de la justice pénale, Dalloz, coll. ENM,
2017, p. 35.
(36) V., évoquant en ce sens la réflexion engagée sur une procédure on line au Royaume-Uni, Th. CASSUTO, « La justice à
l'épreuve de sa prédictibilité », AJpén. 2017, p. 334.
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