Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - Tome 36 - Les sociétés en nom collectif au XVIIIe siècle - 252

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LES SOCIÉTÉS EN NOM COLLECTIF AU XVIIIe SIÈCLE

également reçue dans tous les Etats du Royaume131. » Les fondements en sont très
anciens132. Le versement d'intérêts régulièrement sans qu'il y ait aucun aléa pour
le bénéficiaire est considéré comme usuraire. Savary en donne une illustration
dans le parère XXI133. Dans une société en commandite, un acte prévoit qu'un des
associés recevra un intérêt annuel de 10 % sur les fonds qu'il a versés et qu'il les
récupérera à la fin de la société. L'autre associé supporte les profits et les pertes.
Outre le caractère léonin de cette répartition, le parère souligne en quoi elle expose
les parties à se voir reprocher d'enfreindre les dispositions sur l'interdiction de
l'usure qui : « [...] condamnent ces sortes de contrats de société, parce qu'ils sont
accompagnez de deux conditions qui les rendent mauvaises. La première, en ce
que l'on y assure pour l'un des associez le fond capital qu'il a fourni à la société,
encore qu'il arrivât de la perte d'icelui pendant le cours de la société. La seconde
est, que l'on y détermine le profit que cet associé doit tirer de son fond capital,
quand même la société n'en feroit aucun pendant le cours d'icelle. » Ce beau raisonnement ne prend pas toutefois en compte le risque de contrepartie (faillite du
marchand auprès duquel l'associé a placé ses fonds), le risque de liquidité (indisponibilité des fonds) et le risque de taux (dans le cas où les taux viendraient à
augmenter). Or, ces aspects semblaient bien loin à l'époque des préoccupations de
chacun. L'esprit des marchands était ailleurs. Ils craignaient que leurs affaires
soient suspectées d'usure et cherchaient les stratagèmes pour s'en protéger comme
celui bien connu des « trois contrats »134. L'imputation des intérêts au capital était
également surveillée. Couchot en donne un exemple. L'affaire est la suivante. Jean
Mongarny, tuteur de Pierre Savoye, prêta 300 livres en 1701 pour le compte de ce
dernier à Jean et Claude Contancin. Ceux-ci s'engagèrent à verser un intérêt de
5 % sur la somme qui leur avait été prêtée. Ils payèrent cet intérêt pendant six ans
pour un total de 90 livres et remboursèrent 100 livres sur le capital en 1708. Pierre
Savoye, alors majeur, leur demanda de lui verser le solde qui restait du capital avec
les intérêts. Les sieurs Contancin déclarèrent qu'ils étaient prêts à : « [...] payer la
somme de 110 livres, soutenans n'en devoir plus, puisqu'ils avoient payé 100 livres
sur le principal, & 90 livres en intérêts, qui comme usuraires, devoient être imputés
sur ledit principal [...] » Une sentence fut alors prononcée en faveur de Pierre
Savoye pour le paiement du principal et des intérêts qu'il réclamait. Celle-ci fut
131. H. Lévy-Bruh dans « Un document inédit sur la préparation de l'ordonnance sur le
commerce de 1673 », RHD, op cit, p. 681. (t X, 1931, p. 649-681) p 681. Pour mémoire, Pussort était
l'oncle de Colbert et avait été chargé de diriger les travaux sur l'ordonnance.
132. Couchot, op cit, Livre VI, chap III, p. 639 : « Aristote [...] regarde comme une chose
monstrueuse que de l'argent engendre de l'argent » Archives de la juridiction consulaire de Paris.
Meurel et Chazal. Décisions tirées des parères de Savary. Doc n° 5474-547,. s d circa 1770. Référence
à Sixte Quint et à la bulle detestabilis publiée le 25 octobre 1586. « Nous condamnons [...] tous les
traitez, accords & contrats de société, par lesquels on convient de rendre toujours à son associé le
principal qu'on a reçû, [...], quelque perte ou dommages qu'il arrive, ou par lesquels, l'on s'oblige de
luy payer une certaine somme [...] pendant le temps de la société. Nous ordonnons que ces traitez, [...]
soient tenus dorénavant pour usuraires et illicites [...] » (AP D1B6 34). Ce texte est tiré du parère XXI
(p 176). Il contient une annexe (p 173-177) intitulée : « Observations sur l'acte de société, où l'on voit
que cette sorte de stipulation a été inventée par les usuriers, pour colorer les gros intérêts qu'ils tirent de
leur argent, & le cas auquel des associez peuvent stipuler des intérêts par l'acte de société ».
133. J. Savary, parère XXI, op cit, Pierre & Paul, annexe, p. 177.
134. Un contrat de société avec le marchand qui enregistre l'apport, un contrat d'assurance qui
garantit le capital versé, un contrat de vente du capital à ce même marchand. Ce mécanisme est décrit
notamment par R.-J. Pothier, op cit, « Des contrats de société simulés », § 22, p. 452. Voir aussi :
F. Babin, Conférences de juin 1728 sur les contrats & les restitutions, op cit , p. 15-16 ; J. Liégeois, op cit,
§ 25-26 ; p 85-86 ; V. Simon, « L'affectio societatis », Revue des contrats, 2016, n° 2, p. 343-350.

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