Droit et Société - La société d'austérité - 2017-2018 - 106

LA SOCIETE D'AUSTERITE

des conséquences qu'aurait un État s'il décevait les attentes des actionnaires qui
opèrent à l'échelle mondiale 74.
Les concepts de modernité liquide et de liquéfaction, proposés par Zygmunt
Bauman, ont été approfondis par Jiri Priban qui a mis l'accent sur le droit. La
société liquide met en relief la centralité de la fluidité du temps et celle de la
transformation sociale. Par-delà le fait que le temps soit associé au changement,
à la flexibilité, à la mobilité, l'information suit également une vitesse très rapide,
ce qui affaiblit le pouvoir de l'État-nation. Le pouvoir devient extraterritorial,
faisant en sorte que les puissants s'éloignent de leurs obligations locales et que
le droit international et les systèmes légaux de l'État-nation finissent par contribuer à cette stratégie de déconnexion et de liquéfaction sociales 75.
Jiri Priban signale également les nouvelles formes de pouvoir qui coïncident
avec les nouvelles formes de régulation juridique et de la domination. Le droit
n'arrive plus à établir les bases de la vie publique et politique qui pourraient stabiliser la société au travers de l'idée de justice 76. En rapprochant les concepts de
liquéfaction et de justice, cet auteur affirme que le droit, pour s'ajuster à la société
liquide, développe des mécanismes de dérégulation, de désengagement et de déconnexion. Ainsi est atteint profondément le concept de justice, notamment par
rapport à ses aspects de fragmentation et de réflexivité 77. L'auteur resitue ce débat dans le contexte européen pour identifier les deux possibilités concernant la
formulation du problème de la justice dans le cadre de la modernité liquide. La
première se réfère aux valeurs morales et normatives en crise, et à l'action du
législateur qui réaffirme par le droit les principes de notre communauté morale,
ses valeurs et les solutions éthiques qui doivent être mises en œuvre dans nos
sociétés. La seconde possibilité est celle d'un éloignement de la « tentation législative » pour considérer le problème de la justice comme étant prioritairement
un processus d'interprétation et de justification 78.
Dans le système positif de droit, le concept de justice apparaît comme une
formule contingente, une tautologie artificielle qui, par une série d'arguments, se
transforme en quelque chose de naturel et de nécessaire. Pour Jiri Priban, il est
important d'observer les processus de modification et de reconstitution du système juridique par lesquels se développent la fragmentation et la différenciation
interne des « domaines de justice » 79. C'est par là que le problème de la justice
devient une question de capacité du système juridique à répondre au changement
social, à la différenciation et à la fragmentation en cours des sociétés contemporaines. Dans ces dernières, en effet, la justice ne représente plus les valeurs et les
vertus éthiques du droit. Au contraire, la société liquide se caractérise par ses
aspects « polythéistes », « polycontexctuels » et « autopoiétiques » ; dans ce
74. Ibid., eod. loc.
75. Cf. Jiri PRIBAN, « The concept of reflexive justice in liquid Society », dans Sociologia del
Diritto, 2015, p. 15.
76. Ibid., p. 16.
77. Ibid., eod. loc.
78. Ibid., p. 28.
79. Ibid., eod. loc.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 58, 2017

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