Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 66

LA BATAILLE DES MOTS EN BRETAGNE

Les effets attendus ont été obtenus puisque « le nombre de personnes
capables de s'exprimer dans la langue régionale dans le territoire où elle
est encore en usage a été divisé, entre les générations nées en 1930 et celles
nées en 1980, par deux pour le basque, par trois pour l'alsacien et par dix
pour le breton1 ». À cela se rajoute un handicap spécifique au breton, à
savoir d'être dépourvu, contrairement à l'alsacien, du basque ou du catalan,
d'un Hinterland linguistique (constitué, pour ces langues régionales, par
l'Allemagne, le Pays basque espagnol et la Catalogne), créant un débouché
naturel pour les créations en langue régionale principalement dans les
domaines de la culture et des médias. Paradoxalement, une de ses particularités est d'avoir des locuteurs en dehors de sa zone de diffusion normale ;
on recense ainsi 30 000 brittophones en région Île-de-France avec même
la présence d'une École Diwan (voir infra) à Paris dans les années 2000.
En tout état de cause, la situation critique de la langue bretonne n'a pas
laissé les acteurs locaux indifférents. Le conseil régional de Bretagne a été
ainsi la première collectivité à se doter d'un plan de politique linguistique
en 2004 (actualisé en 2012) permettant de financer la formation intensive
à la langue bretonne pour les enseignants et professionnels de la petite
enfance, le soutien aux médias et au secteur de l'audiovisuel et enfin le développement des pratiques culturelles en breton. En 2015, une convention
spécifique pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne a été signée entre le conseil
régional, le rectorat et les universités de Rennes 2 et de Bretagne occidentale. De son côté, le Finistère est devenu en 2016 le premier département à
adopter un schéma linguistique. Enfin, en 2010, a été fondé l'Office public
de la langue bretonne (un établissement public de coopération culturelle)
dont la mission est d'assurer la promotion et le développement du breton.
C'est le fer de lance de la politique linguistique des collectivités territoriales
bretonnes.
Une fois ceci posé, il est temps de se pencher sur la problématique juridique. Les termes de la coexistence linguistique entre le breton et le français
reposent sur l'idée que toute politique de développement et de promotion des langues régionales doit être appréciée à la lueur de l'article 2 de
la Constitution de 1958 disposant que « la langue de la République est le
français ». Plus concrètement, il sera expliqué que la cohabitation entre le
breton et le français se déploie tout à la fois dans une logique pacifique (I)
mais aussi parfois tendue (II).

1. Rapport Molac, AN, Doc. Parl. n° 3359, 16 décembre 2015, p. 10

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