Clefs - Une société de communication ? - 6e - 33

Généalogie du discours communicationnel

Le thème de la fin des idéologies est sans doute alors le plus
téméraire de cette vulgate, le moins nourri de références palpables.
Si en Allemagne (Bad Godesberg, 1959) ou en Grande-Bretagne
(Scarborough, 1960), des congrès socialistes marquent une prise
de distance avec la rhétorique marxiste, si les trois succès électoraux consécutifs des conservateurs britanniques à partir de 1951
manifestent un affaiblissement des liens entre classes populaires
et travaillisme, ce brouillage des repères est loin de se généraliser,
notamment en France. D'où vient alors la force d'une croyance en la
désidéologisation ? Il faut sans doute y voir un dérivé des représentations suscitées par l'expansion économique. La redistribution du
surplus de richesses et la prospérité apaiseraient les tensions, même les
conflits du travail prendraient alors le sens d'une simple revendication
de gains supplémentaires, non de subversion d'un modèle de société.
Représentations intelligibles donc que ces discours des « fins ».
On se gardera de leur attribuer pour autant un label de scientificité.
La moindre étude précise sur l'univers des pratiques culturelles vient
restituer le jeu des différences sociales sur des consommations labellisées culture de masse1. Les travaux sociologiques ont souligné les
confusions que recouvrait la notion d'« embourgeoisement » du monde
ouvrier : s'agit d'accéder au même niveau vie, de « penser comme »,
d'être reconnus comme membres d'une telle classe2 ?

Un espace pour le discours communicationnel
Hors l'attention qu'il prête aux produits culturels comme vecteurs
d'érosion des différences sociales, le discours de « fin des... » peut
sembler sans rapport avec la thématique de la société de communication. Ces schémas de perception venus des années 1950 y sont
pourtant intimement connectés. Interprétant des évolutions sociales
pour décrire un monde dégagé des passions idéologiques, en voie de se
débarrasser des « vieux » conflits de classe, il suggère le thème d'une
société de « masse », dominée par ce qu'on nommera bientôt le groupe
central, le monde des classes moyennes partageant des références
culturelles communes. Dans cette description enchantée d'un monde
né du nivellement des croyances et des statuts, le déploiement de la
communication « de masse » et des discours qui l'accompagnent est
à la fois central et inévitable. Confrontée à un brouillage des repères
1. P. Bourdieu et J.-C. Passeron, « Sociologie des mythologues, mythologie des sociologues », Les temps modernes, 1963, no 211.
2. J. H. Goldthorpe et D. Lockwood, « Affluence and the British class
structure », The sociological review, 1963, no 2.

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