Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 306

298	 Norme culturelle et indivisibilité de la république	

du maçon ou du charpentier)6 en ce sens qu'elles servent à construire une
représentation sociale dominante, une « communauté imaginée », destinée
à fédérer la communauté nationale. La « communauté imaginée » n'est pas
synonyme de « communauté fictive » ; elle est le produit d'un incessant
échange entre les subjectivités et les objectivités qui déterminent tout imaginaire social7. Ce processus est une œuvre collective permanente qui aboutit
à une sorte de modèle commun8 : avec des ancêtres fondateurs, une langue,
une histoire continue, des héros, des monuments, un folklore à laquelle
la Nation se conforme. Tout en ayant vocation à « résister au temps » du
changement9, la construction de cette représentation sociale n'est jamais
achevée et demeure, comme dirait Mona Ozouf, « constamment réinterprétée par les rencontres et les surprises de l'existence »10. Sans l'adhésion
de la plus grande partie de la population à ce modèle et sans l'intériorisation de ces normes, il n'y aurait pas vraiment de « sentiment d'identité »,
pour reprendre l'expression du professeur Gutmann11, et le succès de l'idée
nationale serait, a fortiori, totalement « illusoire »12. Les normes culturelles
s'insèrent donc dans l'ordre politique. C'est pourquoi tout manquement à
la norme de conscience partagée par le groupe se traduit inéluctablement par
un phénomène d'exclusion13. Le pluralisme - culturel et/ou juridique - est
difficile à admettre dans une construction étatique - et plus spécifiquement
dans un État unitaire - parce qu'il peut remettre en question ce modèle
politique14. Mais la réalité politique fait souvent apparaître des distorsions
entre le groupe humain considéré et le système politique qui s'applique à lui.
Notre passé colonial en porte témoignage quand la République « impériale »
imposait, sans égard pour ses idéaux républicains15, son modèle culturel
6. L. Mary, « Le normal ou le mirage de l'a-norme », Essaim 2013/2, n° 31, p. 49-70.
7. B.  Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of
Nationalism, Verso, 1983, trad. frse, L'imaginaire social. Réflexions sur l'origine et l'essor
du nationalisme, La Découverte, 1996.
8. A.-M. Thiesse, La création des identités nationales. Europe xviiie-xxe siècle, Seuil, 1999,
p. 14.
9. E. Balibar, « Identité culturelle, identité nationale », Quaderni 1994, n° 22, p. 53-65.
10. M. Ozouf, « Pourquoi nous n'arrivons pas à faire cohabiter nos multiples identités ? »,
Le Point 13 janv. 2011.
11. D. Gutmann, Le sentiment d'identité. Étude de droit des personnes et de la famille,
LGDJ, 2000, p. 9.
12. J.-F. Bayart, L'illusion identitaire, Fayard, 1997 ; E. Dupin, L'Hystérie identitaire, éd.
Le Cherche midi, 2004.
13. C. Grewe, « L'unité de l'État : entre indivisibilité et pluralisme », RDP, Les Quarante ans
de la Ve République, 1998, n° 5/6, p. 1349-1360.
14. D. de Béchillon, Qu'est-ce qu'une règle de droit ?, Odile Jacob, 1997, p. 148-151.
15. M. Ferro, Le livre noir du colonialisme, xvie-xxie siècle, de l'extermination à la repentance, Robert Laffont, 2003 ; O. Le Cour Grandmaison, La République impériale. Politique
et racisme d'État, Fayard, 2009 ; J.-P. Pastorel, « Le principe d'égalité outre-mer », N3C
avr. 2012, n° 35, in « La Constitution et l'outre-mer », p. 73-93.
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