Bibliothèque de droit privé - Tome 604 - L'impartialité de l'arbitre - 145

L'impartialité de l'arbitre évaluée à partir de ses liens

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a) La règle de minimis ou le nécessaire dépassement d'un certain seuil d'intensité
160. Concept. Dès lors que le monde de l'arbitrage est petit et que ses acteurs
(arbitres, conseils et grands utilisateurs de l'arbitrage) partagent entre eux de
nombreux liens, nous ne pouvons raisonnablement exiger que les arbitres n'aient
aucun lien d'affaires avec les personnes intéressées par l'issue du litige123.
L'exiger rendrait extrêmement difficile le choix d'arbitres compétents et nuirait à l'efficacité de l'arbitrage. Pour départager les liens répréhensibles des liens
tolérés, nous avons besoin d'un seuil ou d'une directive générale permettant de
classer les liens d'affaires parmi ces deux catégories de liens.
Cette directive se trouve, nous semble-t-il, dans l'adage De minimis curat non
praetor qui signifie littéralement que le préteur (romain) ne s'occupe pas des
affaires mineures124. Transposé à notre sujet, cela signifierait qu'une partie ne
pourrait pas se plaindre des liens faibles entretenus par l'arbitre avec l'une des
personnes intéressées par l'issue du litige. Mais qu'est-ce qu'un lien faible et
qu'est-ce qu'un lien intense ? Quel est le seuil à partir duquel un lien passerait
d'une catégorie à l'autre ? S'il est difficile de chiffrer ce seuil, il est intéressant de
noter que ce seuil minimal d'intensité est un critère néanmoins reconnu.
161. Reconnaissance par les lignes de l'IBA. Ainsi, les lignes directrices de
l'IBA125 classent dans la liste verte (pas d'obligation de révélation) l'hypothèse dans
laquelle l'arbitre « détient une participation minime au sein d'une des parties ou
d'une de ses affiliées cotée en Bourse »126. Le dépassement du seuil minimal d'intensité se vérifie par la régularité du lien en cause et par l'importance de son enjeu
financier. Il peut d'ailleurs justifier l'inclusion du lien dans la liste rouge non susceptible de renonciation127. Ces exemples constituent une reconnaissance partielle de la
règle de minimis, règle qui devrait, à notre avis, avoir une portée plus générale.
162. Illustrations jurisprudentielles. Nous retrouvons dans la jurisprudence
de nombreuses applications de la règle de minimis, notamment en ce qui concerne
les liens financiers.
123. En ce sens, V. la belle formule imagée d'un tribunal CIRDI : CIRDI (membres du TA non
récusés), 12 mai 2008, Suez & InterAguas Servicios Integrales del Agua S.A. v. Argentine/Suez & Vivendi
Universal S.A. c. Argentine/AWG c. Argentine, préc., § 32 : « Arbitrators are not disembodied spirits
dwelling on Mars, who descend to earth to arbitrate a case and then immediately return to their Martian
retreat to await inertly the call to arbitrate another. Like other professionals living and working in the
world, arbitrators have a variety of complex connections with all sorts of persons and institutions ».
124. V. H. Roland, Lexique juridique des expressions latines, 4e éd., Litec, 2006, p. 69.
V. sur cet adage la célèbre contribution du doyen Carbonnier : J. Carbonnier, Flexible droit,
LGDJ, 2001, p. 74 et s. (Chapitre 6. Vers le degré zéro du droit : De minimis).
V. aussi W. W. Park, « Arbitration's Discontents : Between the Pernicious and the Precarious »,
préc., p. 603 et M. N. Cleis, The Independence and Impartiality of ICSID Arbitrators, op. cit., p. 20 qui
mentionnent les de minimis contacts/threshold dans le contexte de l'impartialité de l'arbitre.
125. Art. 4.5.2 de la version de 2004 et Art. 4.4.2 de celle de 2014.
126. Rappr., en matière d'impartialité du juge, Conseil canadien de la magistrature, Principes
de déontologie judiciaire, préc., p. 47-48 : « E.6 [...] Le fait d'être titulaire d'une police d'assurance,
d'avoir un compte en banque, de détenir une carte de crédit émise par une institution financière ou des
actions d'une société par actions sous forme de parts de fonds mutuels ne susciterait pas en temps
normal de conflit d'intérêts, réel ou apparent, sauf si l'issue de l'instance dont le juge est saisi pouvait
avoir une incidence importante sur ce bien ».
127. « 1.3 L'arbitre a un intérêt financier significatif dans une des parties ou dans la solution du litige.
1.4. L'arbitre ou son cabinet conseillent régulièrement une partie ou une de ses filiales, et l'arbitre
ou son cabinet perçoivent d'eux des revenus financiers importants » (nous soulignons).

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