Systèmes - Les impôts sur le patrimoine de 1789 à nos jours - 21

L'héritage révolutionnaire
échange ») ; selon le mot de Mirabeau, « c'est ici un marché comme
tous les autres ; rien pour rien »12
.
C. Le choix d'impôts réels et indiciaires
C'est également le refus des impôts personnels qui amène la
Constituante à fonder le nouveau système fiscal sur une contribution
foncière et des droits de succession. Elle entend en effet taxer des
choses - les propriétés et leurs mutations - indépendamment des
redevables, ce qui garantit à ses yeux l'absence de privilèges fiscaux.
Le choix d'impôts réels constitue donc un moyen pour atteindre
l'égalité fiscale.
Les impositions nouvelles se démarquent en cela de la taille
d'Ancien régime, dont la noblesse et le clergé étaient exemptés.
Ainsi que le fait remarquer La Rochefoucauld d'Anville, président
du comité de l'imposition, dans un discours à l'Assemblée du 11 septembre
1790, même dans les provinces où s'appliquait la « taille
réelle », des exemptions avaient été accordées aux propriétés nobles
et ecclésiastiques, et survivaient d'ailleurs aux changements de propriétaires.
Au contraire, « la contribution foncière doit s'étendre sans
aucune exception sur l'universalité des terres du royaume, et
aucune portion ne peut en être exempte à quelque titre que ce
soit »13
. Si les droits d'enregistrement comportent certes une part
, il reste
de personnalisation en ce que les tarifs dépendent dès 1790 du
degré de parenté unissant le défunt et l'héritier (cf. II.B)14
qu'aucun allègement ne s'applique plus à raison de la classe sociale
du redevable.
Le refus des impôts personnels trouve une seconde explication :
en faisant le choix d'impôts réels, les révolutionnaires évitent que
les nécessités du contrôle fiscal ne conduisent à examiner des
caractéristiques propres au redevable - ce qu'ils qualifient d'« inquisition
» fiscale -, en limitant les vérifications à la valeur et à la
12. Mirabeau, « Notes inédites sur Boisguilbert », publiées par G. Weulersse, Revue d'histoire
des doctrines économiques et sociales, 3-2, 1910, p. 145-147.
13. L'instruction commentant la création de la contribution foncière, adoptée par l'Assemblée
le 23 nov. 1790, insiste sur le caractère impersonnel de cet impôt : « c'est la propriété
qui est seule chargée de la contribution, et le propriétaire n'est qu'un agent qui
l'acquitte pour elle ».
14. Ce qui les éloigne d'ailleurs d'une stricte conception de l'impôt-échange ou impôt-assurance
: ainsi P. Leroy-Beaulieu fait-il observer en 1892 dans son Traité de la science des
finances (t. 1, p. 511) que « Si les droits de succession gardaient ce caractère de prime
d'assurance, ils devraient être uniformes, quels que fussent les liens qui unissaient l'héritier
au mourant ». Et Poincaré s'appuiera sur cet argument pour proposer en 1894 l'application
de tarifs progressifs (cf. chap. 4).
21

Systèmes - Les impôts sur le patrimoine de 1789 à nos jours

Table des matières de la publication Systèmes - Les impôts sur le patrimoine de 1789 à nos jours