Cours - Droit commercial - 3e - 115

Le commerçant

Aux catégories « classiques » de choses hors commerce96 que sont le corps humain et ses
éléments et les sépultures s'ajoutait la clientèle civile, c'est-à-dire celle d'un professionnel
libéral. Alors que la clientèle commerciale a toujours été considérée comme un bien
pouvant faire l'objet de conventions97, il était en revanche exclu qu'un professionnel libéral
pût céder sa clientèle, par exemple à un successeur98. Ainsi, si un médecin, souhaitant
céder son activité à un successeur, rédigeait une convention dans laquelle figurait sa clientèle, au titre des éléments cédés, il encourrait la nullité sur le fondement de l'ancien
article 1128 du Code civil. La solution se justifiait par la nature particulière unissant le
professionnel libéral à ses clients, caractérisée par la confiance placée en lui. Ainsi, ce lien
ne pouvait être de nature patrimoniale, et encore moins être cédé. Il y avait aussi sans
doute la volonté de se démarquer des professions commerciales, mues par un intérêt
mercantile dont serait exempt le professionnel libéral99. Ces raisons, bonnes ou moins
bonnes, soulevaient cependant des difficultés pratiques évidentes, dans la mesure où la
clientèle, fut-elle civile, représente indéniablement une valeur. Les praticiens trouvèrent
alors une solution, de contournement, censée préserver le principe : le professionnel
« sortant » monnayait non pas sa clientèle, mais le droit de présenter son successeur, ce
qui n'était qu'une obligation de faire n'entrant pas dans le champ de la prohibition posée
par l'ancien article 1128...
Le subterfuge n'était guère justifiable autrement que par la pure technique juridique, et pour
tout dire relevait de la parfaite hypocrisie. La Cour de cassation mit fin à cette situation par
un très important arrêt du 7 novembre 2000100 : « si la cession de la clientèle médicale, à
l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fonds libéral d'exercice de la profession, n'est
pas illicite, c'est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ». Bien que les
apparences soient sauves, d'où la condition de respect de la liberté de choix du patient
(mais comment pourrait-on le contraindre ?), le pas est franchi : la clientèle civile n'est
désormais plus hors commerce. Par la cession de la clientèle civile, c'est à la reconnaissance de la notion de fonds libéral à laquelle on assiste ainsi, calquée sur les autres fonds
existants (de commerce, artisanal, agricole)101.
Convergences. - Les mêmes mouvements de convergences que ceux précédemment
observés sont ici à l'œuvre. Ainsi, les professionnels libéraux peuvent faire le choix
d'exercer sous forme sociétaire, notamment par le biais d'une société d'exercice libéral
(SEL), commerciale par la forme mais à objet civil102. De même, le droit des procédures
collectives est ici applicable. Ainsi se construit peu à peu un véritable droit professionnel,
qui distingue au regard de la nature des activités exercées, mais unifie au regard des
modes d'exercice et du régime applicable.
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96. G. LOISEAU, « Typologie des choses hors du commerce », RTD civ. 2000, 47.
97. Notamment parce qu'elle forme l'élément essentiel du fonds de commerce : v. infra, nº 344.
98. La pratique était pourtant courante, comme en témoigne merveilleusement, quoiqu'avec un certain cynisme, le Knock de
Jules Romains.
99. Une autre façon de justifier la règle consistait à dire que le client du commerçant est attaché au fonds de commerce, plus qu'à la
personne du professionnel, alors que la situation est inverse s'agissant du professionnel libéral : l'argument n'est sans doute pas faux.
100. Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, nº 98-17731 : JCP G 2001, II, 10452, note F. VIALLA ; D. 2001, 2400, note Y. AUGUET.
101. J.-J. DAIGRE, « Une révolution pour les professions libérales : la consécration du fonds libéral », JCP N 2001, 1235 ; Y. SERRA, « L'opération de cession de clientèle civile après l'arrêt du 7 novembre 2000 : dorénavant, on fera comme d'habitude », D. 2001, chron. 2295.
102. Instituée en 1990. Il en existe plusieurs formes : société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), à forme
anonyme (SELAFA), en commandite par actions (SELCA), par actions simplifiée (SELAS).

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