Guide pratique - L'honoraire de l'avocat - 1re - 24

L'HONORAIRE DE L'AVOCAT

sentiment de cette fraternité humaine, dont l'idée chrétienne est la vivante expression (Omnes enim fratres estis, saint Matthieu, ch. XXIII, V. 8). Je ne vous parle pas, ici,
des nominations d'office, où il vous est interdit de recevoir quoi que ce soit, de l'accusé ou de sa famille ; je parle des défenses volontaires, que vous pouvez vous dispenser d'accepter, mais dans lesquelles, lorsque le client est pauvre, les avocats,
dignes de ce nom, ont toujours été heureux de s'employer à la manière du chrétien
qui prête, nihil indé sperantes (saint Luc, ch. VI, V. 35) ».
Nous mesurons le glissement. Le raisonnement était construit et intelligent mais
entretenait une confusion totale. D'un côté l'assistance spontanée due de tout
temps aux pauvres en l'absence d'un système d'assistance judiciaire. De l'autre
une interdiction générale qui, de fait, obligerait l'avocat à n'avoir pas besoin de sa
profession pour vivre et permettrait ainsi un verrouillage social du barreau. C'est la
transposition au barreau de l'exigence qui avait été développée au XIXe siècle pour les
magistrats, notamment les hauts magistrats, qui devaient jouir d'une fortune personnelle censée garantir leur rang et leur indépendance. Contre toute attente, pendant près de deux siècles le barreau se convaincrait d'un modèle philosophique et
économique qui n'avait pas été le sien, mais qui remplissait les pages de son beau
livre d'histoire propre à sublimer un état plutôt qu'une profession. Un tel aveuglement, à l'origine, procédait nécessairement d'un choix politique de ses chefs. Par la
suite, beaucoup y crurent de bonne foi.
Il est amusant de constater que Liouville, dans un autre ouvrage10, resté inédit jusqu'à sa publication en 1880 par les soins de son fils Albert, mais écrit dès 1856,
imaginait sur ce thème une critique des barreaux anglo-saxons destinée à devenir
un classique de l'état d'esprit du barreau français : « Nous sommes loin, en France,
de ces fortunes colossales, que conquièrent en un temps si court les avocats
d'Angleterre et d'Amérique, pays où il paraît qu'on ne goûte pas encore, comme
de ce côté de l'Océan, le privilège de faire des ingrats ». Ainsi, dans un contexte
de comparaison internationale sur un thème qui ne nous paraît pas judicieux, celui
de l'honoraire, il participait encore du repli du barreau national. Cette opposition est
toujours vivante un siècle et demi plus tard, à un moment où la concurrence mondiale a pris la place de la simple remarque à visée exotique. À n'en pas douter, l'origine de cette différence d'appréciation n'est pas étrangère aux guerres de religion
du temps des Valois, réparées par l'édit de Nantes de Henri IV, malheureusement
révoqué par Louis XIV ; enchaînement désastreux sur un demi-millénaire, un effet
papillon à l'envers...
Pendant ce temps, loin des palais nationaux, le barreau de province poursuivait sa
douce existence.
16 › Action en paiement d'honoraires en 1850 en Auvergne. - Une épave archivistique nous alerte encore et conforte notre opinion. C'est un opuscule intitulé
« Compte rendu sténographié à l'audience de la deuxième chambre du tribunal
civil de Clermont-Ferrand du 17 mai 185011. » Un tableau synoptique, dépliant
10. F. LIOUVILLE, Paillet ou l'Avocat, Imprimerie et librairie générale de jurisprudence, Marchal, Billard et Cie Débats,
1880.
11. L. CHAUVASSAIGNES, « Débats judiciaires dans le procès entre M. Chauvassaignes et M. Verdier-Latour, chevalier de
la Légion d'honneur, bâtonnier de l'ordre des avocats, ancien maire de Clermont-Ferrand, ancien membre du

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