Guide pratique - L'honoraire de l'avocat - 1re - 42

L'HONORAIRE DE L'AVOCAT

rayé deux fois du barreau, fut victime de « son orgueil [qui] lui persuada qu'il pouvait
se permettre impunément toutes sortes de sarcasmes contre ses confrères, sur la
plupart desquels il l'emportait par ses connaissances littéraires et par une diction
claire, facile et élégante »46. Pierre Larousse (1817-1875) formule un éloge appuyé
du personnage sans cacher par ailleurs ses faiblesses caractérielles47 : « L'ensemble de ses écrits et plaidoyers donne une haute idée du talent de Linguet ;
la dialectique en est puissante, le style toujours soutenu sans enflure, chose rare
au barreau de ce siècle ; l'enchaînement des faits, présentés dans un ordre lumineux, entraîne et séduit. Linguet est, par ces qualités, un des maîtres du barreau
moderne. » Il signale que l'avocat s'était mis à dos le barreau presque entier
puisque, lorsque le parlement Maupeou48 fut établi, si la plupart de ses confrères
se retirèrent, « Linguet resta, et il dut presque autant à ce qu'il restait seul qu'à
son talent reconnu d'être chargé de plaider les plus grandes affaires. (...) Un pamphlet qu'il écrivit à cette époque contre l'avocat général Vannesson et ses Reflexions
pour la comtesse de Béthune, où l'illustre Gerbier et la plupart de ses confrères sont
odieusement bafoués, décidèrent le conseil de l'ordre à le rayer du tableau ». JeanFrançois Fournel (1745-1820) rapporte l'épisode Maupeou et le paradoxe de la
désertion du barreau concomitant à la survenance de grands procès favorisant de
jeunes avocats et cite par ailleurs le procès entre Linguet et l'ordre49.
Plus récemment, Antoine Longuépée, exhortant à la réhabilitation de Linguet, « pour
l'honneur du barreau » regretta « l'oubli » dans lequel il était tombé alors que « son
bref passage au barreau, de 1764 à 1775, fut pourtant l'occasion pour ce curieux personnage de révéler des talents, voire un véritable génie, qui ont singulièrement
régénéré l'art de la défense, trop souvent tombé alors dans le pathos, la verbosité
et la cuistrerie »50.
Ce vœu fut enfin exaucé par l'étude consacrée à Linguet par Bernard Sur, avocat
honoraire au barreau de Paris51. L'excellence de Linguet, inventeur de la plaidoirie
de rupture, y est reconnue, de même que le sont les véritables causes de la mort
civile qui lui fut imposée par le barreau de façon illégale à trois reprises. L'auteur
renvoie uniquement à la confrontation de Linguet avec ses confrères bien établis,
notamment avec Jean-Baptiste Gerbier (1725-1788) et nullement à son procès en
honoraire. Le 11 février 1775, Linguet « obtient facilement l'annulation de l'arrêt du
1er février 1774 [de suspension]. Va-t-il savoir profiter de sa victoire ? Non. Le vent
mauvais l'emporte. Il ne peut lui-même vaincre sa verve acérée qui le transcende.
L'ordre qui depuis quatre ans n'a pas renouvelé bâtonnier et tableau se réunit et
décide de s'abstenir de tout rapport avec Linguet. La décision est irrégulière car
elle équivaut à une menace de radiation ; sanction que ne peut prendre l'ordre.
46. F.-X. DE FELLER, Biographie universelle, ou dictionnaire historique, nouvelle édition augmentée par M. Pérennès,
treize vol., t. VII, Besançon.-Outh. Chalandre fils, 1848.
47. P. LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, dix-sept vol., Administration du grand dictionnaire universel,
1866-1878, t. X, 1873.
48. Du nom du chancelier de France et garde des Sceaux René-Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou (1714-1792).
49. FOURNEL, Histoire des avocats au parlement et du barreau de Paris depuis S. Louis jusqu'au 15 octobre 1790, deux
vol., t. II, Maradan, 1813.
50. A. LONGUÉPÉE, « L'avocat Henri Linguet, un auxiliaire oublié de Voltaire », Rev. SIHPA, nº 6, Toulouse, 1994.
51. B. SUR, Histoire des avocats en France des origines à nos jours, Dalloz, 1998.

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