Grands Colloques - Les figures du juge administratif - 18

LES FIGURES DU JUGE ADMINISTRATIF

feuille de papier posée sur cette table, d'un crayon »2. Mais il faut aussi un
miroir. Partie prenante essentielle, le miroir, métaphore de la prudence, de
la vérité et souvent de la justice, est cependant un objet qui invite à une
certaine méfiance, ne serait-ce que parce qu'il inverse l'espace, « première
ambiguïté [...] qui est loin d'être la seule »3. Le juge se situe en effet en
observateur d'une situation à laquelle, dans le même temps, il prend part,
ce qui déforme nécessairement la réalité.
Dans ce contexte, il m'a semblé que le miroir à la fois le moins déformant
et le plus adapté pourrait sans doute être, tout simplement, les décisions
que le juge rend, éclairées - on a besoin de lumière face à un miroir - par
les conclusions des rapporteurs publics, qui présentent en outre l'intérêt
d'être publiques et accessibles à chacun. Telle est du moins notre ambition.
Les décisions qui vont soutenir mon propos sont plutôt récentes et elles
ont acquis droit de cité, au sens où leur simple nom évoque chez le juriste
averti tout un monde : ce sont, par exemple, les décisions El Bahi, Hallal,
Association AC !, Société ATOM, Société Tropic Travaux, Béziers 1 ou
Béziers 2... Dans chacune de ces décisions, dans d'autres encore, le juge
explicite son office, c'est-à-dire ses pouvoirs et devoirs : il dresse, en d'autres
termes, un autoportrait et manifeste l'une de ses figures.
Parcourir un certain nombre de décisions rendues par le juge administratif ces dernières années revient donc, dans une certaine mesure, à arpenter
le corridor de Vasari. Ce passage protégé de la ville de Florence, qui relie
le palazzo Vecchio au palazzo Pitti, permettait aux Médicis de traverser
la ville en toute sécurité. Fameux pour son architecture, ce corridor est
également connu pour abriter l'une des plus belles galeries d'autoportraits au monde, dont la collection fut commencée par le cardinal Léopold
de Médicis et qui rassemble les œuvres de maniéristes italiens comme du
siècle d'or hollandais, de l'école baroque comme des impressionnistes, de
peintres néoclassiques comme romantiques. Si par l'autoportrait le peintre
se représente dans une œuvre picturale, par ses décisions le juge se dépeint,
dans ce qui relève du registre du discours. Il recourt, dans les décisions
qui traitent de son office, à des expressions telles qu'« il appartient au juge
de... », « il incombe au juge de... », « il revient au juge de... » ou « il appartient
au rapporteur public de... », voire à des sous-titres, comme « sur l'office du
juge de... », qui permettent au lecteur de savoir que le juge parle alors de
ses pouvoirs et devoirs. Parfois même, sans que le juge ne le dise, le lecteur
devine qu'il en va également ainsi.
2. P. Bonafoux, « L'autoportrait », discours prononcé devant l'Académie des Beaux-Arts,
séance du 12 février 2003, disponible sur http://www.academie-des-beaux-arts.fr/actualites/
travaux/Bonafoux.pdf.
3. Ibid.

http://www.academie-des-beaux-arts.fr/actualites/

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