Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 120

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

rajeunissement des pensées. En même temps vous allez échapper à l'atmosphère
énervante et déprimante que les derniers événements avaient créée autour de vous à
Paris33. Cela est, je crois, encore plus essentiel pour vous et pour tous ceux qui ont
subi le coup ou le contre-coup de ces déceptions. Les sentiments amers, qu'elles
ont suscités, s'atténueront, j'en ai la persuasion, par l'effet de l'éloignement, du
calme, de la dilatation de cœur que produit l'élargissement des horizons. Et j'espère
fermement pour vous que la rentrée se fera sur l'impression d'une énergique
Sursum corda, qui dissipera les nuages présents et vous assurera l'avenir. À ce
moment, d'ailleurs, vous serez bien près du terme de cet heureux événement de
famille, que vous attendez, et qui fera passer à l'arrière-plan toutes les petites
déconvenues du passé, pour ne laisser place qu'à la joie et à l'espoir. Tout ceci me
paraît tellement certain que je tiens à vous le dire en toute sincérité, après avoir
constaté combien la situation récente vous causait de peine profonde et de solitude
morale intense. Mais heureusement, vous avez du ressort pour plusieurs, et votre
influence contribuera, la première, à arrêter les résolutions fâcheuses.
C'est ce que je me disais, en vous quittant l'autre soir, et, me représentant la place
que vous aviez su prendre en si peu de temps à la Faculté de Paris, l'estime affectueuse dont vous entourent vos collègues dans ce milieu sceptique et indifférent, je
songeais que la providence vous avait appelé là au bon moment, et que, sans vous,
présent pour adoucir certaines choses, l'avenir serait exposé à des découragements
que vous saurez empêcher34. C'est là le bon côté de votre fixation à Paris ; et ce
rôle difficile, vous êtes merveilleusement apte à le remplir.
Il m'a été réconfortant d'emporter de Paris cette conviction, à la suite de quelques
jours que vous m'y avez fait passer si agréablement. Vous m'avez accueilli avec
une cordialité qui me touche au-delà de ce que je puis dire et je vous en garde une
vive reconnaissance. Grâce à vous, ce que je considérais un peu comme une corvée,
s'est transformé en un fort gracieux prélude de vacances : et je mets au premier
rang des bons souvenirs, que me laisse cette semaine dernière, celui d'avoir mieux
que jamais goûté votre intimité. Cela était bon, après avoir été séparé de vous si
brusquement voilà près de dix-huit mois, et après avoir dû accepter peu à peu
l'idée de la séparation. Merci encore une fois et du fond du cœur. Transmettez mes
remerciements à Madame Saleilles, je vous prie, avec mes souvenirs très respectueux
33. Gény fait référence au vote du 16 juillet 1896, qui consacra la victoire de Garsonnet au décanat
de la faculté de droit de Paris contre Bufnoir (AN. AJ16 1796, p. 191-192). Les élections des délégués
au Conseil de l'université eurent lieu le 11 novembre 1896. Gérardin et Glasson furent élus par 25 voix
chacun. Lyon-Caen obtint 2 voix, tandis que Bufnoir et Boistel n'obtinrent qu'une voix chacun (Ibid.,
p. 213). Lors de la séance du 29 juillet 1896, Bufnoir demanda à être dispensé, pour raison de santé,
du service des examens d'octobre et de novembre, afin de pouvoir se consacrer pleinement à ses
enseignements (Ibid., p. 206-207).
34. En 1896, Saleilles avait déjà composé une importante œuvre scientifique, dont la notoriété lui
facilita le rattachement à la faculté de droit de Paris. Avant son départ de Dijon, le recteur indiquait
que Saleilles faisait « preuve de beaucoup de zèle dans l'exercice de ses fonctions » (10 mai 1895), ainsi
que « de grandes qualités dans son enseignement » (3 juin 1894). Dès son rattachement à la faculté de
droit de Paris, un engagement identique l'animait dans ses nouvelles fonctions. Pour l'année 1896, il
participait aux commissions du concours général ainsi qu'à de nombreuses conférences de doctorat
en sciences juridiques (conseil de la faculté de droit de Paris, séance du 25 juin 1896, AN. AJ16 1796,
p. 172 ; séance du 9 juillet 1896, ibid., p. 188).

120

Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles

Table des matières de la publication Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles