Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 153 - Les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel - 289

LES NORMES DE CONCRÉTISATION À DESTINATION DU LÉGISLATEUR

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Conseil constitutionnel conserve une vision très interniste de cette jurisprudence
en rattachant le motif impérieux d'intérêt général à l'article 16 car si ce dernier
invoque la garantie des droits, établissant alors un lien clair avec la Convention
européenne des droits de l'homme, il en va différemment de la séparation des pouvoirs, requise par l'article 16, mais dont il n'est fait aucune mention dans la
Convention européenne. Ensuite, le juge s'inscrit dans une continuité jurisprudentielle qui lui est extérieure tout en suivant son propre calendrier. En effet, le Conseil
constitutionnel aurait pu exiger un motif impérieux d'intérêt général dès sa décision du 29 décembre 1999, pour suivre l'arrêt de la Cour européenne des droits de
l'homme qui avait condamné la France. Pourtant, l'évolution s'est opérée par
étapes, d'abord par l'ajout de l'exigence de suffisance, puis, quinze ans plus tard,
par la transformation du « suffisant » en « impérieux ». Le juge constitutionnel a
donc délibérément choisi de ne pas adopter, dès 1999, la jurisprudence exacte de la
Cour européenne. Cela peut alors expliquer que le commentaire de cette décision
de 1999 ne fasse aucune mention de la décision de la Cour européenne, mais qu'il
n'y soit fait référence expressément que dans le commentaire de la décision de
2014, lorsque le Conseil adopte la formulation de la jurisprudence conventionnelle. L'on peut ici supposer une certaine volonté de maintenir une jurisprudence
interne spécifique, dans la mesure où aucune obligation n'imposait au Conseil
constitutionnel de se référer au droit de la Convention européenne des droits de
l'homme. Cette lente évolution peut s'expliquer par deux éléments contradictoires,
qui animent la prise de décision du juge constitutionnel. D'une part, il reste attaché à son refus de contrôler la conventionnalité des lois, refus affirmé dès sa décision du 15 janvier 1975 rendue sur la loi relative à l'interruption volontaire de
grossesse26. D'autre part, un certain pragmatisme le conduit à prendre en considération les risques de sanctions internationales contre les dispositions législatives
contraires, ici, au droit de la Convention européenne des droits de l'homme. Dès
lors, l'évolution de la norme de concrétisation lui permet de confluer vers les exigences conventionnelles tout en maintenant un fondement interne à son contrôle.
Sa jurisprudence de 1975 est alors préservée en apparence.
Pourtant, si cela ne figure pas dans le commentaire, l'on peut noter que les
juges judiciaire et administratif avaient d'ores et déjà fait le choix de suivre la
terminologie européenne, en lieu et place de la jurisprudence constitutionnelle. Si
le Conseil d'État avait d'abord adopté l'exigence d'un but d'intérêt général comme
l'illustre l'arrêt d'Assemblée du 5 décembre 1997, Mme Lambert27, la haute juridiction administrative a rapidement suivi le mouvement de la Cour de cassation,
cette dernière ayant adopté la jurisprudence européenne, en exigeant d'« impérieux motifs d'intérêt général » pour permettre l'adoption d'une loi rétroactive
dans sa décision du 23 janvier 2004, SCI Le Bas Noyer c/ Castorama et Bourduge
et a. c/ Damotte28. Le Conseil d'État en a alors fait de même à partir de la décision
du 23 juin 2004, Société Laboratoires Genevier29, tout comme le Tribunal des
conflits dans une décision du 13 décembre 2010, Société Green Yellow c/ EDF30.
26. Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse,
cons. 6 et 7.
27. CE, Ass., 5 décembre 1997, Mme Lambert, req. n° 140032.
28. Cass. plen., 23 janvier 2004, SCI Le Bas Noyer c/ Castorama et Bourduge et a. c/ Damotte,
n° 03-13617, 2e attendu.
29. CE, 23 juin 2004, Société Laboratoires Genevier, req. n° 257797.
30. TC, 13 décembre 2010, Société Green Yellow c/ EDF, n° C3800.

http://www.30.TC

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