Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 58

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

lignes directrices d'une bonne méthode : c'est l'idée, que l'opinion publique, représentant le sentiment général, et plus ou moins conscient, de l'ensemble des intéressés18, pourrait légitimement suggérer à l'interprète les solutions juridiques, dont il
est en peine. - Sans parler de la difficulté, presque insurmontable en fait, d'une
constatation convaincante de l'état de l'opinion publique sur une question de
droit donnée19, j'estime, que le jugement commun, tant qu'il n'est pas traduit en
coutume caractérisée (ci-dessus, n° 119), n'a aucun titre à imposer son appréciation, pour la solution des problèmes juridiques. Même, dans la sphère législative20,
il me paraît fort douteux, que ceux, qui ont mission de porter des règles juridiques
générales, doivent puiser leur inspiration principale dans l'état d'une opinion,
toujours bien précaire et peu sûre d'elle-même21. Mais, en tout cas, et dès qu'il
s'agit de l'application même du droit, réputé préexistant, je n'aperçois pas, sur
quelle base sérieuse pourrait reposer l'influence, reconnue au sentiment général.
- Non pas, sans doute, que l'opinion publique doive être non avenue pour l'interprète. En tant que fait social22, devant entrer en compte dans son appréciation, elle
s'impose à son attention d'une façon incontestable23. Mais, ce que je veux affirmer
ici, c'est que, si ferme et si assise qu'elle puisse paraître, cette opinion ne peut
jouer le rôle d'une autorité pour l'interprète, ni lui servir de critérium, pour discerner le droit positif à suivre, par cela même qu'elle ne saurait prétendre à représenter la vérité des choses, qu'il s'agit seule de découvrir et d'appliquer24.
Ainsi, livrée à elle-même, l'interprétation ne trouvera les appuis objectifs nécessaires, que dans la nature des choses, servant de matière à ses investigations, et dans
une systématisation logique, fécondant et développant cette matière elle-même.
158. Envisageons, d'abord, ce dernier élément.
Déjà, pour justifier ma critique des constructions juridiques, telles que les
présente notre science actuelle, j'ai dû m'expliquer sur les limites, que comporte,
en droit positif, l'usage des abstractions purement logiques (ci-dessus, nos 60-81).
Il me suffira donc, maintenant, de résumer les conclusions acquises, en exprimant, sous quelques formules nettes, le rôle, qui convient à une saine et féconde
systématisation, dans l'ensemble de l'œuvre juridique positive25.
18. Sur le développement historique de ce sentiment général des intéressés, voy. A. H. Post, Einleitung in das Studium der ethnologischen Jurisprudenz 1886, p. 21.
19. Sur le Public, véritable sujet de l'opinion, voy. G. Tarde, Le Public et la Foule, dans Revue de
Paris, nos du 15 juillet et du 1er août 1898, p. 287-306, p. 615-635.
20. [Sur le rôle de l'opinion publique, dans la législation, d'après l'exemple de l'Angleterre, cons.
M. Deslandres (Étude sur le fondement de la loi), dans Revue du droit public et de la science politique,
1908-1°, t. XXV, p. 29-37.]
21. Pour parler net, je n'hésite pas à penser, que le législateur doit savoir résister à uneopinion mal
éclairée. Cpr. en ce sens : E. Beaissire, Les principes du droit, 1888, p. 9. - C'est ce qu'on a trop souvent
méconnu : dans la question du divorce, par exemple. Aujourd'hui, la constitution même de la famille paie
les frais de cet abandon. [- Vainement prétend-on, encore, que le mouvement général des législations contemporaines témoigne irrésistiblement en faveur du divorce. Voy. notamment : Ed. Lambert, La fonction du
droit civil comparé, t. I, Paris, Giard et Brière, 1903, p. 905-907. Cet argument fataliste ne saurait prévaloir
contre les suggestions de la raison et de la conscience, confirmées par l'expérience des résultats pratiques.]
22. Voy. ici : À. Esmein, Éléments de droit constitutionnel, 2e édition, 1899, p. 163-164.
23. Cpr. Fr. Adickes. Zur Lehre von den Rechtsquellen, 1872, p. 45-50 ; voy. aussi ibid., p. 43-44.
[- R.  Saleilles (École historique et droit naturel), dans Revue trimestrielle de droit civil, 1902, t.  I,
p.  108-109 (§  9), a pu signaler aussi, parmi les bases objectives de l'interprétation, « la conscience
juridique collective », dont il s'est servi, notamment, pour préciser la notion de « Bonnes mœurs ».]
24. Cpr. Ch. Beudant, Le droit individuel et l'État, 1891, n° 105, p. 166-167.
25. Ces questions, - trop négligées, à mon avis, des jurisconsultes, et qui n'avaient pu qu'être
effleurées dans le présent ouvrage -, se trouvent reprises et plut profondément étudiées par Fr. Geny,
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