Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 156 - L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 - 301

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L'ÉCRITURE DES LOIS CONSTITUTIONNELLES DE 1875

favorise au contraire la stabilité : l'ordre constitutionnel fondé entre 1871 et 1875
permet aux normes constitutionnelles d'être le produit d'une combinaison entre
un texte et une pratique. Dès lors, ainsi que l'affirme le Professeur Baranger, la
crise du 16 mai 1877 qui survient moins de deux ans après la séparation de l'Assemblée de 1871 est une « crise de régime » ou une « crise sur le régime » et non
une « crise constitutionnelle »5.
354.  Au total, le processus d'écriture des lois constitutionnelles de 1875 marque
donc la fondation d'un ordre constitutionnel parlementaire. Doit-on juridiquement
réduire cet ordre et ce régime à un simple compromis de circonstance ? Les circonstances, c'est-à-dire le contexte politique, sont certes loin d'être étrangères à la nature
et à la structure de la production constitutionnelle de l'Assemblée de 1871 -  comme
pour tous les processus d'écriture  - mais elles n'épuisent cependant pas l'analyse. Le
travail d'écriture constitutionnelle entre 1871 et 1875 n'est pas réductible à un pur
marchandage politique entre diverses factions, dont presque toutes obtiennent
quelques succès sans qu'aucune ne puisse se prévaloir du triomphe. L'écriture des
lois constitutionnelles de 1875 répond à une logique juridique plus profonde, qu'une
partie des constituants eux-mêmes ne perçoivent pas, aveuglés qu'ils sont par leurs
divisions. Il ressort également de l'analyse une absence de paternité de l'œuvre :
aucun constituant, ni aucun penseur supposé les inspirer, n'impose complétement
son point de vue6 ou, à tout le moins, la position qu'on veut lui prêter.
355. Les querelles sur l'interprétation des lois constitutionnelles de 1875
débutent quelques mois après leur écriture, laissant croire que les constituants ne
se sont accordés sur rien. Pourtant, en réalité, ces querelles se déroulent au sein du
cadre tracé par le processus d'écriture (et ce cadre n'est lui-même pas entièrement
écrit). L'expression populaire qui veut que « le diable se cache dans les détails »
était adaptée aux constitutions précédentes : en apparence, peu de chose les
séparent des lois de 1875 mais un « détail » compromettait le tout, comme l'absence du suffrage universel avant 1848, son utilisation césariste après. Ici, le diable
n'est caché nulle part mais le « dieu Parlement » est visible partout (dans le peu
qu'il y a et, par conséquent, dans les larges marges d'interprétations qui lui sont
laissées). L'antagonisme entre constitution et institutions disparaît : auparavant,
soit la constitution était défaillante, créant des institutions théoriquement parfaites mais en pratique fragiles et déséquilibrées, soit la constitution était impuissante, en raison d'une institution qui concentrait les pouvoirs et supprimait les
libertés. Le plus souvent, les deux aspects étaient liés. En 1875, l'ordre constitutionnel repose à la fois sur les lois écrites et sur les institutions - plus précisément
sur une institution centrale, le Parlement.
356.  L'écriture des lois constitutionnelles de 1875 peut dès lors être rattachée
à l'idée d'une fondation au sens du doyen Hauriou dans sa célèbre théorie de l'institution7, fondation qui vise à se poursuivre, plutôt qu'à l'idée d'un processus
5. In PIMENTEL Carlos-Miguel (dir.), La crise du 16 mai 1877, Édition critique des principaux
débats constitutionnels, Paris, Dalloz, 2017, p. 294. Telle est également l'opinion de Nicolas Roussellier
(ibid. p. 302-303).
6. Nathalie Droin et le Professeur Charlot avaient déjà pu le démontrer concernant PrévostParadol : CHARLOT Patrick et DROIN Nathalie, « Lucien-Anatole Prévost-Paradol, un des « pères
spirituels » des lois constitutionnelles de 1875 ? », in Écrire la constitution, op. cit., p. 271-283.
7. « La théorie de l'institution et de la fondation (essai de vitalisme social) » (1925) in HAURIOU
Maurice, Aux sources du droit, Le pouvoir l'ordre et la liberté, Cahiers de la nouvelle journée, n° 23 (1933),
Caen, Bibliothèque de philosophie politique et juridique, 1986, p. 89-128. L'auteur définit l'institution

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