Hors collection - Finances publiques et souveraineté des États - 100

QUELLE SOUVERAINETÉ FISCALE POUR LE MAROC ?

Il faut cependant aller au-delà des apparences et des généralités pour
saisir les mutations qui s'opèrent au niveau des structures réelles du système
fiscal marocain. En effet, l'évolution des trois dernières décennies a été
marquée par des orientations et des mesures qui ont accentué le caractère doublement problématique du système fiscal marocain, puisqu'il est
aisé de démontrer aujourd'hui que ce système est à la fois inefficace et
inéquitable. Ainsi, alors que la baisse des droits de douane a été largement
« internalisée » à travers des relèvements des taux de la TVA et d'autres taxes
à la consommation intérieure, les deux principaux impôts directs (l'impôt
sur les sociétés - IS - et l'impôt sur le revenu - IR -) se sont concentrés
de manière aussi peu efficace que juste sur des composantes limitées de
l'assiette fiscale.
Au niveau de l'IS, on sait depuis longtemps, et de source officielle, que
plus des deux tiers des sociétés inscrites à cet impôt se déclarent déficitaires
(et dont une bonne partie systématiquement depuis plus de dix ans !). Pour
le reste, 2 % des sociétés assurent 80 % des recettes de cet impôt5. Selon
l'enquête Inforisk-2015, alors que 69 % des entreprises se déclarent déficitaires de manière chronique, une centaine parmi elles, soit 0,04 % des
sociétés enregistrées à l'IS, ont assuré à elles seules 35 % de ses recettes. Et
cependant, l'ensemble des contributions fiscales et sociales de ces « 100 gros
contribuables » ne représentent que 6,5 % de leur chiffre d'affaires...
L'IR est théoriquement censé concerner cinq catégories de revenus : les
revenus salariaux et assimilés, les revenus professionnels, les revenus et les
profits fonciers, les revenus et les profits financiers, et les revenus agricoles... En réalité, les statistiques officielles montrent que, à elle seule, la
première catégorie assure les trois quarts des recettes fiscales de cet impôt,
alors que par ailleurs, la population salariée ne représente que près de 40 %
de la population active, et sa part dans la valeur ajoutée ne dépasse guère le
tiers6. Prélevés à la source, la « rigueur » avec laquelle sont mis à contribution les revenus du travail n'a d'égale que le laxisme et la « bienveillance »
avec lesquelles sont traités les revenus du capital, bénéficiant souvent de
taux réduits et/ou spécifiques et « libératoires »7. Quant au barème de l'IR,
5. Direction Générale des Impôts (2013). Assises de la fiscalité, Document ppt, Rabat,
29 avril 2013.
6. Selon les données relatives à 2015 et en provenance de la Direction générale des impôts,
seules 3,6 millions de personnes sont déclarées à l'IR, parmi lesquelles on compte 3 millions
de salariés, et compte tenu du seuil minimal d'imposition, l'impôt ne serait acquitté que
par 1,9 million de contribuables.
7. Ce qui, soit dit en passant, fait de cet impôt au Maroc plus une addition d'impôts
quasi-cédulaires qu'un véritable impôt général sur le revenu tel qu'il était conçu à l'origine... À titre indicatif, il faut savoir que les profits fonciers, les dividendes et les profits
des capitaux mobiliers sont imposés respectivement à des taux contenus entre 15 et 20 %, et
tous de manière « libératoire ». Quant aux revenus agricoles, ceux de 99 % des exploitations

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