Contextes - Penser la technique juridique - 89

NICOLAS SILD

de souveraineté, les lois fondamentales de l'État ou le droit ecclésiastique propre à la nation française consigné dans les libertés gallicanes. La
Constitution Unigenitus (1713) fulminée par le pape Clément XI contre
les jansénistes en fera les frais. elle ne sera enregistrée par le Parlement
qu'à la faveur d'un lit de justice tenu le 24 mars 1730. une attention redoublée est portée au contrôle des bulles de légation, toujours suspectées de
contenir des clauses dangereuses pour les droits du monarque13. Soucieux
de défendre les intérêts de l'État, le Parlement de Paris se fonde sur ces
mécanismes de réception pour modifier les bulles de légation ou y insérer
une clause générale de réserve. L'ensemble de ces pratiques subsiste durant
le xixe siècle au sein du régime concordataire. De moindre efficacité, leur
maintien en vigueur n'en demeure pas moins une question de principe liée
touchant de près aux intérêts les plus élevés de l'État.
À l'intérieur de l'État, le gallicanisme s'attaque aux conflits qui mettent
aux prises les autorités et les juridictions ecclésiastiques à la puissance
étatique. La procédure de l'appel comme d'abus constitue l'autre arme
décisive permettant de résoudre les conflits de compétences, tout en
combattant les intrusions de la justice et des autorités d'Église dans les
affaires temporelles. Porté devant les juridictions étatiques (Parlement
sous l'Ancien régime, Conseil d'État au xixe siècle), ce recours ouvert
aux sujets (laïcs ou clercs) permet d'attaquer les jugements rendus par les
tribunaux d'Église exerçant leur juridiction dans l'État. Il est également
un recours contre les actes d'administration édictés par les membres du
clergé français. L'appel comme d'abus sanctionne l'incompétence et l'illégalité des décisions ecclésiastiques. Il s'agit donc d'une procédure à double
visage, assumant tour à tour deux fonctions : la cassation des jugements
ecclésiastiques (et dans des hypothèses beaucoup plus rares, des jugements
séculiers empiétant sur la compétence du juge ecclésiastique) d'une part,
l'annulation des actes relevant du gouvernement et de l'administration de
l'Église de France d'autre part.
L'origine de cette procédure reste très mal connue, mais l'on sait que son
développement est essentiellement jurisprudentiel14. Initialement, l'appel
13. V. pour l'essentiel, P. Blet, Histoire de la représentation diplomatique du Saint-Siège
des origines à l'aube du xixe siècle, rome, Archivio Vaticano, 1982, 537 p. ; B. Barbiche,
Bulla, Legatus, Nuntius. Études de diplomatique et de diplomatie pontificales ( xiiiexviie siècles), École des Chartes, 2007, 575 p., ouvrage très utile rassemblant les principaux
articles de l'auteur sur le droit de légation auquel nous nous réfèrerons ; J.-L. Gazzaniga,
« Les pouvoirs des légats pontificaux devant le Parlement », in A. Stegmann (dir.), Pouvoirs
et institutions en Europe au xvie siècle. Actes du Colloque de Tours, juillet 1984, Paris, 1987,
p. 227-235. A. Latreille, « Les nonces apostoliques en France et l'Église gallicane sous
Innocent XI », Revue d'histoire de l'Église de France, 1955, vol. 41, n° 137, p. 211-234.
14. Les recherches historiques sur les appels comme d'abus ne sont pas parvenues à en
éclaircir les origines de façon satisfaisante. Pour les plus anciennes, v. r. Génestal,

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