Contextes - Littératures populaires du droit - 34

LITTÉrATureS POPuLAIreS Du DrOIT

2. Genres littéraires et formes éditoriales
La littérature populaire du droit constitue-t-elle un genre littéraire spécifique formant un « ensemble reconnaissable et identifiable »96 ? une simple
analyse superficielle permet d'en douter. remarquons tout d'abord que les
littératures populaires du droit empruntent des formes variées. L'immense
majorité de cette littérature est incontestablement constituée d'ouvrages
obéissant eux-mêmes à des genres distincts. Si l'on se fie à leurs intitulés
en effet, on trouve un grand nombre d'opus intitulés Notions de droit ou
Éléments de droit97. Viennent ensuite les Manuels, les Dictionnaires98, puis
les Guides et, enfin, les Traités. Toutefois, ces intitulés ne semblent pas
correspondre à la typologie des genres habituellement admise : alors qu'un
manuel est en général plus court qu'un traité, par exemple, ce n'est pas le cas
en matière de littérature populaire du droit. Cette confusion des genres est
corroborée par le fait que ces ouvrages se réclament fréquemment de deux
genres à la fois. Sans multiplier les exemples, on retiendra, à titre d'illustration, deux ouvrages situés aux deux extrémités du xixe siècle : le Nouveau
guide du commerçant, ou Traité élémentaire sur la forme, l'objet et l'usage
des lettres de change (1822) de Louis rondonneau et le Nouveau dictionnaire-formulaire pratique ou Manuel alphabétique de droit usuel, civil,
commercial, administratif et judiciaire (1889) de Jean-Marie Le Moutier.
Dans le premier cas, la juxtaposition du genre du guide et de celui du traité
frappe particulièrement par son caractère contradictoire. Dans le second
cas, dictionnaire et manuel sont utilisés pour décrire un ouvrage reposant
sur la forme alphabétique, mais constitué d'entrées plus longues qu'une
simple définition.
Ce flottement sémantique accrédite l'idée que les littératures populaires
du droit naviguent de manière fluide entre plusieurs genres, ces derniers
ne disant presque rien, finalement, du contenu, relativement similaire, que
l'on retrouve d'ouvrage en ouvrage. Si le genre détermine normalement
en partie la réaction du lecteur, chez lequel le mot « manuel », « traité » ou
« précis » implique une attente particulière, précisément parce qu'il partage
avec l'auteur une culture (ici juridique) commune, ce ne peut être le cas des
ouvrages de vulgarisation du droit, qui cherchent justement à combler un
écart entre les profanes et le droit. Aussi les qualificatifs choisis dans les
titres n'ont-ils finalement que peu de poids. Tout au plus servent-ils sans
96. N. Hakim, « Les genres doctrinaux », op. cit., p. 148.
97. C'est en particulier, mais pas uniquement, le cas des manuels d'instruction civique.
98. Pour une analyse précise des dictionnaires de droit pour tous, nous nous permettons
de renvoyer à notre étude de cas : L. Guerlain, « Les dictionnaires juridiques à destination
des profanes au xixe siècle. Anatomie d'un genre littéraire », in M. Bassano, P. Bonin et
C. Dounot (dir.), De la signification des mots aux sens du droit, 2019, à paraître.

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