Hors collection - Droit(s) et Street Art - 126

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L'ARCHITECTE ET LE GRAFFEUR

parfois importantes aux œuvres d'architecture, jusqu'à leur destruction34,
et ce sans que ne soit requis l'accord de l'architecte. Après avoir longtemps
condamné toute altération d'une œuvre d'architecture qui ne serait pas
motivée par la force majeure35 ou des impératifs techniques36, le juge37 a
décidé de refuser à l'architecte le droit d'exiger l'intangibilité absolue de
son œuvre, consacrant en quelque sorte un droit de modification au profit
du propriétaire corporel de l'œuvre architecturale. L'arrêt Bull38 a inauguré cette jurisprudence en 199239 pour les réalisations appartenant à des
propriétaires privés, en la fondant sur la vocation utilitaire du bâtiment,
qui justifierait de l'adapter à des besoins nouveaux40. L'arrêt du Conseil
d'État Agopyan41 l'a reprise en 2006 pour les bâtiments appartenant aux
personnes publiques, en invoquant cette fois des impératifs techniques, de
sécurité publique ou même esthétiques42.
On ne doit pas déduire de cette brèche dans la protection du droit moral
de l'architecte une facilité, voire la permission pour le graffeur d'agir sur
l'œuvre d'architecture, ne serait-ce que parce que ce droit de modification
est admis au profit du seul propriétaire. Un graff non autorisé par l'architecte reste un graff illicite du point de vue du droit d'auteur et condamnable
à ce titre. En revanche, il n'est pas inopportun d'examiner plus attentivement le cas des œuvres de street art objets d'une commande. Le propriétaire
34. CA Paris, 16 oct. 2013, Paul Chemetov c/ Communauté d'agglomération Evry Centre
Essonne, Propr. Int. 2014, n° 50, p. 70, obs. J.-M. Bruguière. V. aussi l'affaire de la Maison
Girard, CA Versailles, 4 avr. 1996, JCP 1996 II 22741, obs. D. Bécourt.
35. Par exemple CA Paris, 10 juill. 1975, D. 1977.342, note C. Colombet ; RIDA, janv. 1977,
p. 114, note Françon : déplacement d'une fontaine pour cause de force majeure.
36. Cass. 1re civ., 1er déc. 1987, Ville de Lille c/ Consorts Gillet, D. 1989, Somm. C. Colombet,
p. 45. Ici en leur absence, dénaturation de l'œuvre par adjonction à l'intérieur d'une coupole
d'un faux plafond. Les altérations plus importantes engageaient la responsabilité du propriétaire : ainsi de l'adjonction d'une aile à un bâtiment, adjonction qui rompait « l'équilibre
harmonieux de l'immeuble » : CA Riom, 26 mai 1966, JCP 1967, II.15183, note H. Boursigot.
37. V. en ce sens la note de B. Edelman sous Cass. 1re civ., 7 janv. 1992, Bonnier c/ Sté
Bull, D. 1993, jur., p. 522. L'auteur regrette que ce soit le juge et non le législateur qui ait
procédé à un amoindrissement du droit de l'auteur.
38. Cass. 1re civ., 7 janv. 1992, Bonnier c/ Sté Bull, Bull. civ. I, n° 7, p. 5 ; RIDA, avr. 1992,
p. 194 ; D. 1993, jur., p. 522, note B. Edelman ; D. 1993, som., p. 88, obs. C. Colombet ;
RTD com., 1992, p. 376, obs. Françon. Dans le même sens : Cass. 1re civ., 11 juin 2009, Sté
Brit Air c/ Ph. Madec et a., Comm. com. électr. 2009, comm. 75, obs. C. Caron.
39. Une évolution de la jurisprudence a été amorcée avec l'affaire du Théâtre des ChampsÉlysées préc. V. F. Pollaud-Dulian, « Architecture et droit d'auteur », préc.
40. Ces derniers pouvant relever de la « situation commerciale » du propriétaire (mention
hors de l'attendu de principe).
41. CE, 11 sept. 2006, Agopyan, AJDA 2006, p. 2189, note J.-D. Dreyfus ; D. 2007, AJ
p. 129, note J. Charret ; C. et marchés publics 2006, comm. p. 287, note W. Zimmer ; BJDCP,
déc. 2006, n° 49, p. 432, concl. D. Casas ; J.-F. Millet, « Le stade, œuvre architecturale à
vocation utilitaire », note sous CAA Nantes, 18 déc. 2003, AJDA 2004, p. 875.
42. Sur ce dernier critère, v. M. Cornu, « Droits de l'architecte et aménagement de l'espace
public », AJDA 2004, p. 2114.
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