Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 201

LE GENRE COMME VECTEUR DE TRANSFORMATION DU DROIT
Mais que faire lorsque la filiation n'est pas encore établie ? Un homme
enceint doit-il être reconnu, selon les termes du droit, comme père ou comme
mère ? Une femme qui enfante par son sperme doit-elle être reconnue comme
mère ou comme père ? Le Tribunal de grande instance de Montpellier s'est
penché sur ce second cas de figure où la mère qui n'avait pas accouché s'était
vue refuser sa reconnaissance de maternité sur instruction du procureur de la
République (bien qu'elle ait effectué une reconnaissance prénatale) 69. Le
tribunal proposa deux solutions, l'une et l'autre inacceptables : que cette femme
adopte l'enfant (comme dans tout couple homosexuel) ou qu'elle change à
nouveau de sexe à l'état civil 70. En réponse, la Cour d'appel de Montpellier a
proposé d'inscrire le terme de « parent biologique » à l'état civil, répondant ainsi
aux besoins immédiats des parents mais, ce faisant, traitant la filiation transgenre
comme un cas à part (ce dispositif ne s'appliquant pas à tous et toutes) 71. Le
12 février 2019, l'Assemblée nationale a adopté, contre l'avis du ministre de
l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, un amendement de la députée
Valérie Petit visant à inscrire, sur les formulaires scolaires, les mentions « parent
1 » et « parent 2 ». L'objectif de l'amendement était de ne plus discriminer les
parents homosexuels, trop souvent confrontés à la seule alternative père/mère
dans les documents officiels 72. Les mouvements d'opposition à
l'homoparentalité protestèrent vivement 73. Le 21 mai 2019, le Sénat vota en
seconde lecture contre cet amendement. L'amendement ne faisait pourtant
aucune place à la pluriparenté alors même que celle-ci constitue, pour les
personnes homosexuelles et transgenres, une des principales modalités d'accès à
la parenté. Il est vrai que la pluriparenté interroge tant la différence des sexes que
leur complémentarité au sein du couple conjugal et du couple parental. Au fond,
ce que redoutent les mouvements conservateurs est que le genre place la volonté
au fondement du droit. Comme l'écrit Daniel Borrillo, le genre constitue
désormais « un élément de la personnalité disponible par l'individu en tant que
composante essentielle de sa vie privée » 74.
À l'inverse, lorsque, pour reprendre les termes de Benjamin Moron-Puech,
« [l]'identité de genre est encore à l'ombre de la notion de " sexe " », la situation
69. Dans le chapitre 9 du présent ouvrage, S. Hennette-Vauchez inscrit ce cas d'espèce dans
l'histoire juridique récente du genre en Europe.
70. Tribunal de grande instance de Montpellier, 22 juillet 2016.
71. Cour d'appel de Montpellier, 14 novembre 2018.
72. Assemblée nationale, projet de loi « École de la confiance », amendement n°834 déposé le
7 février 2019, 
(consulté le 11 décembre 2019).
73. Cf. par exemple Ludovine DE LA ROCHÈRE et Albéric DUMONT, « Parent 1, parent 2 : le déni de
la réalité père-mère conduit à l'absurde », dans FigaroVox, 14 février 2019, URL :
.
74.
Daniel BORRILLO, Disposer de son corps : un droit encore à conquérir, Textuel, Paris, p. 96.
201
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/1629/AN/834 https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2019/02/14/31003-20190214ARTFIG00262-parent-1

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