Droit et Société - Tome 61 - Genre, droit et politique. - 92

GENRE, DROIT ET POLITIQUE
la culture du résultat dans le champ judiciaire, auraient par ailleurs pu faire l'objet
d'un classement sans suite voire ne pas être portées à la connaissance du
parquet) 31. Il a été montré que, parmi ces gros dossiers, se trouvaient de
nombreuses affaires de stupéfiants, pour lesquelles le travail d'investigation
prend aujourd'hui beaucoup plus souvent la forme d'enquêtes préliminaires (de
plus ou moins longue durée) menées par les officiers de police judiciaire 32. Cette
tendance à moins approfondir certaines affaires diminuerait donc la probabilité,
pour certains types de délinquants et délinquantes, d'être mises à disposition de
la justice. Et les magistrat·es d'expliquer que c'est très souvent le cas des
compagnes de trafiquants (« Maintenant, on ne poursuit plus des personnes qui
pourtant sont fortement impliquées. Et ça, c'est juste pas normal, quoi. Surtout
pour les conjointes [...] C'est quand on creuse qu'on les a les conjointes [...]
Donc là, ça veut dire que bah non, pour elles, c'est tranquille quoi »).
Cet exemple montre que, si certaines catégories de personnes sont
particulièrement exposées aux conséquences du processus de renforcement de la
pénalisation, la probabilité pour d'autres d'être inquiétées par l'institution
judiciaire semble à l'inverse être diminuée. Il a en effet été montré que les
exigences de sécurité et d'efficacité ont engendré une extension du « filet pénal »
en augmentant les possibilités légales d'y « tomber » (du fait, notamment, de la
création d'infractions et de l'introduction de peines planchers) 33. Cette
extension, couplée aux nouvelles logiques gestionnaires, à l'importance accordée
au taux de réponse pénale comme indicateur d'efficacité ainsi qu'à la
diversification des canaux procéduraux, a eu pour conséquence une
surpénalisation de certaines catégories de personnes ainsi que l'entrée, dans le
circuit pénal, d'autres qui, dans un contexte différent, n'auraient probablement
pas été inquiétées 34
et qui viennent ainsi « améliorer » les statistiques de
l'activité pénale. Or il apparaît à l'inverse que les compagnes de trafiquants
(potentiellement autrices d'infractions aux stupéfiants ou économiques) tendent
à disparaitre du circuit pénal (ou à ne pas y apparaître) sous l'effet des nouveaux
équilibres observés dans le champ judiciaire. Tout se passe comme si la
combinaison de la politique inflationniste, des pressions managériales, de la
quête d'une plus grande rapidité et de l'inclination des acteurs et des actrices de
la répression à se concentrer sur le plus immédiatement visible qui en découle,
tendait à favoriser l'invisibilisation de ce profil de femmes ; comme si,
finalement, la sous-pénalisation des unes provenait de la surpénalisation des
autres. L'introduction des logiques managériales et des procédures rapides dans
l'appareil pénal diminue ainsi la probabilité, pour certains profils de femmes, de
passer les portes de l'institution judiciaire et participent, par là même, d'un
31. Benoit BASTARD et Christian MOUHANNA, Une justice dans l'urgence, op. cit.
32. Gildas ROUSSEL, Virginie GAUTRON et Philippe POUGET, « La coordination entre forces de
police et justice dans le traitement des délits », op. cit.
33. Philip MILBURN, « De la frénésie de sécurité à la surpénalisation : la justice sous pression »,
dans Laurent MUCCHIELLI (éd.), La Frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008, p. 41-51.
34. Ibid. ; Virginie GAUTRON et Pauline RAPHALEN, « Les stages : une nouvelle forme de
pénalité ? », dans Déviance et société, 37, 2013, p. 27-50.
DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 61, 2021
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