Grands Colloques - Droit et surnaturel - 150

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DROIT ET SURNATUREL

B. Le présent
Il faut d'abord observer que le rationalisme est l'âme de la culture
occidentale et demeure étranger, malgré la mondialisation, à de nombreuses
cultures pour lesquelles le droit s'abandonne légitimement au surnaturel.
Les ordalies évoquées tout à l'heure sont encore couramment pratiquées dans l'Afrique subsaharienne, retrouvant même une nouvelle faveur
depuis les indépendances : épreuve du fer rouge, de l'immersion dans la
mare aux caïmans, ou, version la plus répandue, ordalie du poison. Le
coupable absorbera le poison, qui le rendra malade, tandis que l'innocent
le rejettera9. Dans la même veine, chez les Soussou de Guinée par exemple,
en cas de meurtre, le suspect doit jurer sur le Coran, puis est enveloppé
dans un suaire, mis dans un cercueil et promené autour de la mosquée : s'il
est coupable l'épreuve doit le rendre fou10. Autre illustration du surnaturel
vampirisé par le droit africain, en 1963, au Gabon, un chasseur, Bikeye tire
sur ce qu'il croit être un chimpanzé et tue un de ses compatriotes, Akoué.
Accusé d'homicide, il fait valoir qu'Akoué s'était changé en chimpanzé
pour les besoins de la chasse, ce qu'il ne pouvait savoir. Le tribunal saisi
admit l'innocence de Bikeye dans un attendu révélateur : « attendu qu'il
est de notoriété publique au Gabon que les hommes se changent soit en
panthère, soit en gorille, soit en éléphant, etc., pour accomplir des exploits,
éliminer les ennemis ou attirer sur eux de lourdes responsabilités, défendre
leurs plantations et ravager celles de leurs voisins et amis, que ce sont là
des faits qui sont inconnus du droit occidental et dont le juge gabonais
doit tenir compte »11.
Quittons l'Afrique pour l'Asie, le droit n'en est pas moins influencé
par le surnaturel comme peut en témoigner l'affaire de la statue de Shiva
12
. Une très ancienne statue de Nataraja, une des formes de Shiva avait été
volée en Inde en 1976. Quelque temps après, elle est saisie par la police
anglaise, car son acquéreur ne peut établir de manière convaincante sa
bonne foi. L'affaire est portée devant les juridictions anglaises, qui étaient
compétentes. Conformément aux règles du droit indien, Shiva se constitua
partie civile aux côtés du gouvernement indien, ce que durent admettre
les tribunaux de sa gracieuse majesté, qui se prononcèrent par la suite en
faveur de la restitution13.
9. A. Retel-Laurentin, Sorcellerie et ordalies, l'épreuve du poison en Afrique noire,
Paris, 1974.
10. B. Durand, Histoire comparative des institutions, Dakar, 1983, p. 377.
11. Jugement rendu le 22 avr. 1964 à Booué - Audience foraine - Enregistré à Lambaréné
le 2 mai 1964, vol. 1, Folio 211, Cas 2159.
12. Cf. D. Annoussamy, Le droit indien en marche, Soc. Lég. Comparé, 2001, p. 295 et s.
13. Cf. N. Rouland, Aux confins du droit, O. Jacob, 1991, p. 272.

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