Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 57

LIONEL ANDREU

21. La deuxième règle qui suscite l'étonnement est tirée de l'article 1295, alinéa 1er, du Code civil, qui empêche le débiteur qui a accepté une cession de
créance sans réserver la compensation de l'opposer au cessionnaire. Une nouvelle
fois, la solution étonne les partisans de la théorie volontariste. Car on fait valoir
que si la dette était véritablement éteinte, la compensation devrait nécessairement
pouvoir être opposée au cessionnaire en application de la règle de l'opposabilité
des exceptions qui caractérise la cession de créance68. En pure logique, cet argument est exact et semble imparable. Mais on peut concilier cette règle avec l'automaticité de la compensation en y voyant une renonciation présumée par la loi.
Certes, le principe est que les renonciations ne se présument pas, d'autant qu'il se
peut que le débiteur acceptant la cession de créance ignore la possibilité d'une
compensation69. Mais cette règle d'interprétation cesse chaque fois que le législateur adopte une règle contraire, ce qu'il n'hésite pas à faire lorsque les circonstances s'y prêtent. Sans même raisonner en terme de renonciation, on pourrait
d'ailleurs plus généralement considérer que le législateur n'ayant souhaité, en instituant l'effet automatique de la compensation, que simplifier les relations juridiques entre les deux créanciers-débiteurs réciproques, rien ne lui interdit de
consacrer une règle (en l'espèce, l'automaticité de la compensation) et de la neutraliser a posteriori en cas de comportement incompatible avec elle. En employant
une image, on pourrait ainsi dire que le législateur fait jouer la compensation de
manière automatique mais sous la condition résolutoire de l'accomplissement
d'un acte incompatible avec elle. L'idée s'impose d'ailleurs si l'on remarque que le
projet de la Chancellerie de 2010 proposait de généraliser cette règle paralysant
l'extinction d'une obligation acquise à toutes les exceptions dont le débiteur aurait
pu se prévaloir, montrant par là qu'il s'agit bien de remettre en cause a posteriori
une extinction de l'obligation qui a produit effet (sauf à considérer que toutes les
exceptions auraient été privées d'effet extinctif immédiat).
22. En réalité, la véritable question n'est pas de savoir si le législateur peut
remettre en cause a posteriori l'extinction d'une obligation. Elle est de savoir pour
quelle raison il le fait, et pourquoi la règle serait limitée à la compensation comme
il en va dans le Code de 1804. Quelle est la logique qui a conduit le législateur,
sinon à créer un cas de renonciation tacite à la compensation, du moins à paralyser son effet automatique a posteriori ? C'est une logique économique qui l'explique. D'un côté, il est important de protéger le cessionnaire de la créance, qui
ignore normalement que la créance acquise a fait l'objet d'une compensation.
Mais d'un autre côté, priver un débiteur d'un moyen de défense qui lui permettrait de ne pas payer - donc, de ne pas s'appauvrir - est à ce point grave que le
législateur s'y refuse en général. Mais s'agissant de la compensation, la perte du
droit de l'opposer prive-t-elle le débiteur d'un moyen de défense qui lui aurait
permis de ne pas s'appauvrir ? Une réponse négative s'impose si l'on raisonne sur
68. Par ex. G. Duboc, op. cit., n° 38.
69. Il n'est cependant pas admis par tous que le débiteur qui a accepté la cession en ignorant la compensation soit privé du droit de s'en prévaloir contre le cessionnaire (v. le vigoureux
plaidoyer de F. Mourlon, art. préc., n° 24, qui prend not. appui sur Pothier).

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