Hors collection - Les États d'exception, un test pour l'État de droit (Revue du Droit Public - Numéro spécial) - 170

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RÉMI PELLET
des États, mais les différentes modalités de rachats massifs des titres de dettes
publiques sur le marché secondaire peuvent être considérées comme une façon
indirecte pour la BCE de prêter de l'argent à des États. Saisi à ce sujet par
des députés et citoyens, le Tribunal constitutionnel allemand adressa alors à
la CJUE une demande de décision préjudicielle sur la validité des décisions
de la BCE.
Dans son arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e. a., n° C-62/14, la CJUE
considéra que la politique de la BCE restait dans les limites prévues par les
traités, notamment parce que la Banque pouvait « éviter que les conditions
d'émission d'obligations souveraines [fussent] altérées par la certitude que
ces obligations [seraient] rachetées par le système européen de banques centrales
[SEBC] après leur émission » et donc éviter que la mise en œuvre
du programme « ait, en pratique, un effet équivalent à celui de l'acquisition
directe d'obligations souveraines auprès des autorités et des organismes
publics des États membres ». L'argument pouvait être considéré comme
spécieux, mais cela conforta la BCE, qui avait lancé en janvier 2015 une
politique d'assouplissement quantitatif - ou quantitative easing (QE) - qui
consistait en des achats massifs de titres publics et privés pour faire baisser
les taux d'intérêt à long terme, du fait de la garantie de rachat par le SEBC,
sachant que les BCN ne pouvaient pas détenir plus de 33 % d'une ligne obligataire
émise par un État.
En 2016, le Tribunal constitutionnel allemand admit la réponse de la
CJUE (25) aux questions qu'il lui avait adressées à propos de la politique non
conventionnelle de la BCE, comme il le fit à nouveau, pour d'autres questions
encore, dans un arrêt du 30 octobre 2019 (26) ; mais, dans notre contribution
aux Mélanges Rousseau, nous nous étions interrogés sur les risques d'une évolution
: « La Cour constitutionnelle allemande (27) fera-t-elle toujours semblant
de croire, à la suite de la BCE, que le rachat d'obligations souveraines sur
le marché secondaire n'a pas un effet équivalent à l'achat direct à l'émission,
tel qu'il est prohibé par les traités ? Dans la courte histoire de la BCE, quatre
représentants allemands ont démissionné, le dernier départ ayant été celui
de Mme
Sabine Lautenschläger, ancienne vice-présidente de la Bundesbank
[Banque centrale allemande], qui a quitté ses fonctions le 31 octobre 2019,
soit plus de 2 ans avant la fin de son mandat et à la veille de la reprise du
programme du QE. Dans un contexte où l'excès de monnaie crée désormais
un risque permanent d'instabilité financière, sans, de surcroît, que l'objectif
d'inflation (2 %) soit pour autant atteint, il est bien possible que les juges
(25) T. const. Allemagne, 21 juin 2016, 2 BvR 2728/13, 2 BvR 2729/13,
2 BvR 2730/13, 2 BvR 2731/13, 2 BvE 13/13.
(26) BVerfG, Beschluss des Zweiten Senats vom 30. Oktober 2019 - 2 BvR 980/16,
Rn. (1-11).
(27) La doctrine française emploie indifféremment « Tribunal » et « Cour » pour
désigner le juge constitutionnel allemand, dénommé Bundesverfassungsgericht.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° Spécial-2021

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