Les Intégrales - Volume 21 - Les pactes d'affaires - 1re - 203

Cha p i t r e 1 - L e s pact es d e n o n - agr es s i on
Néanmoins, étant donné que la définition est bien souvent le moyen le plus sûr pour
opérer une qualification juridique24
, il faudra entendre au sens de cette étude par
« pactes de non-agression » tout accord ayant pour objet ou pour effet d'empêcher une
concurrence entre entreprises sur le marché. Pour reprendre les termes imagés d'un
auteur, il s'agit « de traités de paix entre opérateurs rivaux»25
la rivalité et l'agressivité économique entre les concurrents.
dont le but est d'éteindre
220 Diversité des pactes de non-agression en droit de la concurrence. - La définition ayant
été donnée, il reste à savoir s'il faut parler des pactes de non-agression au pluriel ou au
singulier. Faut-il considérer qu'il existe des pactes de non-agression ou est-il possible de
distinguer une notion unitaire du pacte de non-agression ? En pratique, le pluriel
l'emporte tant les pactes de non-agression se singularisent par leur diversité. En effet,
les pactes de non-agression peuvent prendre plusieurs formes. Tantôt, seront-ils aisés à
détecter. Ce sera notamment le cas lorsque les agents économiques auront scellé leur
entreprise de paix dans un contrat. Tantôt, seront-ils plus difficiles à identifier. Il s'agira
des hypothèses où la non-agression n'a fait l'objet que d'échanges verbaux. En cette
hypothèse, la charge probatoire pour les autorités de concurrence sera souvent très
pénible à porter. Cette charge qui échoit à la partie poursuivante renvoie parfois à la
probatio diabolica, raison pour laquelle on a admis en cette matière la méthode probatoire
du faisceau d'indices26
. Il est également envisageable de faire le départ entre les
.Il s'agit alors
différents pactes de non-agression en les examinant au travers de leur objet. Certains
pactes marqueront la non-agression du sceau du partage des marchés27
pour les parties au pacte de se répartir la clientèle sur des espaces géographiques déterminés
et distincts. D'autres pactes de non-agression prendront les traits relativement
connus d'accords de fixation de prix. Il s'agit alors de ne pas s'agresser sur le montant
des prix des produits et des services proposés aux consommateurs aux fins de tirer un
bénéfice supra-concurrentiel. Enfin, des pactes de non-agression bien plus subtils pourront
également être identifiés. Leur subtilité tient au fait que l'accord de non-agression
est totalement dissimulé aux tiers ou au juge28
. Il en est ainsi de certains accords transactionnels
qui, tranchant un litige né ou à naître, conduit au vrai à totalement scléroser
la concurrence sur le marché29
.
consensus lors d'une réunion, un accord conditionnel, des conditions générales de vente constituent des accords au
sens du droit européen », et du droit national. V. N. PETIT, Droit européen de la concurrence, LGDJ, Paris, 2018,
nº 568.
(24) F. ROUVIÈRE, art. précit., p. 114.
(25) J.-Ch. RODA, « Une entente pour la paix ? La concurrence : entre guerre et paix », in La paix, un possible objectif pour
les juristes du droit des affaires ? (dir. J. Mestre), LGDJ, Paris, 2016, p. 347.
(26) Le droit des pratiques anticoncurrentielles ayant une nature quasi-répressive, il n'est pas étonnant qu'il emprunte la
méthode probatoire des faisceaux d'indices, qu'on retrouve notamment en matière pénale. Comme l'écrivent des
auteurs, dès lors qu'« il n'y a ni preuve écrite ni présomption légale, le juge est[...] livré à sa plus totale liberté
dans son appréciation [...] en fonction des éléments factuels qui lui sont communiqués ». V. Th. FOSSIER et
F. LÉVÊQUE, « Le " presque vrai " et le " pas tout à fait faux " : probabilités et décision juridictionnelle », JCPG 2012,
nº 14, 427. Récemment, la Cour de justice a rappelé qu'« il est nécessaire que la Commission fasse état de
preuves sérieuses, précises et concordantes » et que « chacune des preuves apportées par cette dernière ne doit
pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l'infraction. Il suffit que le faisceau
d'indices invoqués par ladite institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence ». V. CJUE, 7 janv. 2017,
aff. C-613/13 P, Commission c/Keramag Keramische Werke, ECLI :EU :C :2017:49, § 52. Pour une étude exhaustive
sur la preuve en droit de la concurrence : v. L. IDOT, « Réflexions sur l'évolution de la preuve des pratiques anticoncurrentielles
devant les autorités de concurrence », Concurrences, nº 4-2017, p. 45.
(27) Emmanuel Combe explique que ce type de pacte de non-agression résulte dans l'Union de l'architecture de son
espace économique. Pour l'auteur, « cette pratique [de répartition géographique des marchés] est assez fréquente
en Europe, compte tenu de la fragmentation des espaces économiques avant la mise en place de marché commun :
des entreprises qui se trouvaient en position dominante sur leur marché domestique ont été confrontées à la concurrence
de producteurs étrangers. Afin d'éviter la pénétration mutuelle des marchés, les entreprises concluaient un
" pacte de non-agression " , consistant pour chaque opérateur à ne pas entrer sur le marché de son concurrent
étranger». V. E. COMBE, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, Paris, 2020, nº 76.
(28) En effet, le juge pourrait être berné par les parties en homologuant un accord transactionnel qui aura des effets
anticoncurrentiels sur le marché. Sur la question de l'homologation : v. Th. GOUJON-BETHAN, L'homologation par le
juge -Essai sur une fonction juridictionnelle, th. dact., dir. N. Fricero, Université Côte d'Azur, déc. 2019.
(29) Les accords de report d'entrée sont de ceux-là. Derrière la transaction conclue, se cache bien souvent un dessein
anticoncurrentiel peu avouable par les parties. Sur le sujet : v. not. notre étude. W. CHAIEHLOUDJ, Les accords de
report d'entrée -Contribution à l'étude de la relation du droit de la concurrence et du droit des brevets, avantpropos
L. Idot, préf. D. Bosco, Concurrences, Paris, 2019, 568 p.
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